22 avril [1841], jeudi matin, 11 h. ½
Bonjour mon bien-aimé chéri, bonjour mon bon petit homme. Voilà déjà bien longtemps que j’attends du papier mais je vais me mettre à copier dare-darea Je ne me lèverai même que lorsque j’aurai fini de copier entièrement ce que tu as fait cette nuit. J’ai lu, c’est ravissant [1]. Ce qui l’est moins c’est que j’ai pour 15 F. 10 sous de drogues et que ces drogues ne sont que pour un mois, encore pas même car la plus chère, le sirop, ne dure que douze jours et coûte 10 F. C’est gentil comme tu vois. Ainsi me voilà au régime de vingtb sous par jour pour d’horribles cochonneries, j’ai bien envie de laisser le remède au diable et de me contenter de quelque bain sulfureux toutes les saisons. C’est plus facile, plus simple et moins dispendieux, qu’enc dis-tu [2] ?
Le charbonnier est venu tout à l’heure et on ne l’a pas payé mais Suzanne sait son adresse. À propos d’adresse et de Suzanne, elle m’en a fait une ce matin qui vient de me mettre dans une fameuse colère. C’est d’être partie sans attendre l’ouvrière [3], qui est venue fort tard à la vérité, de n’avoir pas laissé la clef au portier pour la faire entrer de sorte que cette fille est restée chez le portier trois heures, que le baigneur [4] est revenu encore lui aussi pour rien et qu’enfin de cette stupidité il en résulte trois heures d’ouvrage perdues pour moi et le bavardage chez le portier. Cependant, tant tué que blessé il n’y a personne de mort et je m’en fiche au résumé. Si vous étiez venu tout cela me serait bien égal. Vous ne voulez donc pas venir, scélérat, vous voulez attendre que la barrière soit fermée pour vous présenter [5]. Ia ia monsire matame, il est son sarme.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 77-78
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « dar dar ».
b) « vingts ».
c) « quand ».
22 avril [1841], jeudi soir, 6 h.
J’ai fini ta copie, mon cher adoré, j’ai fait ma toilette, j’ai éduqué mon pigeon chemin faisant [6] et puis tout à l’heure je vais reprendre l’album vert [7]. J’ai reçu une lettre de Claire de son nouveau domicile [8]. Elle paraît être assez épouffée [9] de ce changement mais je n’en suis pas en peine, les péronnelles finissent par s’apprivoiser bien vite. Je voudrais pouvoir en dire autant de mon pauvre pigeon qui est bien le volatile le plus incivilisé et le plus crotté qu’il y ait sous la calotte d’un plafond.
Je ne sais pas pourquoi je m’étais fourré dans la tête aujourd’hui que tu viendrais me prendre pour aller dîner au cabaret. Hélas ! mes pressentiments de bonheur ne me réussissent jamais, ce n’est pas comme les autres. Il est impossible pourtant de te désirer et de t’aimer davantage et d’être plus constamment seule. Je ne sais pas ce qu’ila faut faire de plus pour mériter un bonheur qui arrive si rarement et qui dure si peu.
Mon cher petit bien-aimé, quand donc penseras-tu à nous ? Tu travailles toujours sans cesse et sans relâche mais, mon pauvre amour, il faut bien nous donner un peu de bonheur et de joie aussi. Si tu voulais tu pourrais. Apporte-moi donc le reste de mon discours [10], je le veux absolument ou je me fâcherai tout rouge.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 79-80
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « ce qui ».