11 janvier [1841], lundi, midi ¾
Bonjour, impitoyable Toto, bonjour. Il paraît que vous n’êtes bon que pour tout le monde, moi exceptée [1] ? Je vous remercie de la préférence mais je ne m’en réjouis pas. Allons, voici un ennui d’un autre ordre. La blanchisseuse et son mari sont malades et ne peuvent plus blanchir notre linge, je ne connais personne et me voilà dans l’embarras. Justement c’est l’hiver et je manque beaucoup de linge usuel, ce qui va me gêner horriblement. Enfin, au petit bonheur mais le diable m’emporte si je sais seulement à qui m’adresser pour me procurer une blanchisseuse.
Je viens d’avoir une entrevue avec la pauvre vieille femme qui m’a raconté tous ses chagrins : sona mari est très malade et surtout il a 72 ans, elle 63, ce qui fait que c’est définitif, elle renonce au blanchissage pour toujours. J’en suis fâchée car c’était une bonne blanchisseuse qui n’abîmait pas le linge du tout. Enfin, il faut bien vouloir ce qu’on ne peut empêcher.
J’ai oublié que c’était avant-hier le mois de la bonne, ce qui te fera encore plus d’argent à me donner. C’est à l’infini mon Dieu. Dans trois jours le loyer et la pension de Claire [2], aujourd’hui la blanchisseuse payée il ne me reste que juste l’argent de Gérard.
Tu penses, mon adoré, si j’ai le cœur gai quand je pense à tout ce que tu as à faireb pour toi et pour moi. Je sens que c’est à cela que je dois de ne pas te voir depuis longtemps et j’en suis presque au désespoir.
Pardonne-moi, mon adoré, mais c’est plus fort que moi, l’inquiétude sur ta santé et la privation de ne pas te voir autant que j’en ai besoin me tournent la tête. Je t’aime mon Toto.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 31-32
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « sont ».
b) « affaire ».
11 janvier [1841], lundi soir, 5 h.
Mon cher cher adoré, où es-tu pour que je t’envoie mon âme ? Où es-tu pour que je baise tes pieds ? Où es-tu pour que je t’adore à genoux ? Plus je pense à ce que tu as fait hier dans la neige et sous la pluie et plus encore sous le préjugé, cette autre neige de l’âme plus glaciale que l’autre, je me sens émue jusqu’aux larmes, et je voudrais baiser tes pieds. Ta bonté n’est pas celle des hommes mais celle de Dieu, aussi grande et aussi sublime. Mon bien-aimé, mon bien-aimé, je sens mon âme qui se fond en adoration en pensant à toi [3].
Ce matin, j’ai été distraite de la reconnaissance que je sentais au fond du cœur pour ta bonne action d’hier au soir par l’incident que tu sais, mais depuis cela me revient sans cesse à l’esprit et je voudrais pouvoir aller où tu es pour t’adorer comme le bon Dieu, mon noble, mon généreux, mon grand Victor.
J’ai cherché la lettre de M. Langlé [4] mais il n’y a pas d’adresse ni aucune indication, de sorte que je n’ai pas pu envoyer la lettre à la poste. L’homme de Gérard est venu et Jourdain en même temps. J’ai dit à Jourdain d’envoyer prendre son argent demain, ai-je bien fait ? Je pourrai lui écrire si je me suis trompée.
Je t’aime mon Toto chéri.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 33-34
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette