23 février [1841], mardi, midi ½
Bonjour mon cher petit bien-aimé, bonjour mon adoré petit homme. C’est aujourd’hui Mardi Gras. Est-ce que tu ne lui donneras pas signe de vie à ce pauvre mardi gras ? Il est cependant de nos amis, il y a huit ans vous ne l’aurieza pas lâché sans l’avoir fêté et tout et sans en avoir tiré tout ce qu’il contient [1]. Autre temps, autre mardi gras ; celui-ci promet d’être un jour très maigre pour la Juju de la rue Sainte-Anastase no 14 [2].
À propos de mardi gras, je viens de commettre une erreur qui ressemble beaucoup à une mystification. La Suzanne, le bureau de poste en sont encore en émoi. Voici ce que c’est : j’ai envoyé Suzanne affranchir la lettre de Blois [3] en lui disant formellement que c’était pour Paris et que ce serait 4 ou 5 sous à cause de la grosseur. Il paraît que Suzanne s’est contentéeb de montrer sa lettre sans dire sa destination et qu’une fois pesée et timbrée on lui a demandé vingt-six sous ! HORREUR ! Suzanne a cru qu’on se moquait d’elle, n’a pas voulu payer, a fait rayer sa lettre sur tous les affranchissements et me l’a rapportéec en poussant d’affreux cris. Je l’ai calmée en lui disant de la reporter, de la faire repeser et retimbrer et de payer les vingt-six sous demandés, que je m’étais trompée comme il peut arriverd à des gens plus bêtes que moi. La voici qui rentre. Une autre fois, scélérat, vous me direz le lieu de la destination pour ne pas nous exposer à de pareilles bévues. Je vous aime scélérat, je vous adore mon petit homme.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 175-176
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « vous ne le l’auriez pas ».
b) « contenté ».
c) « rapporté ».
d) « arrivé ».
23 février [1841], mardi soir, 6 h.
Tu viens de me donner un moment de joie et de bonheur ineffable, mon adoré, je t’en remercie du fond de l’âme et en t’adorant comme un pauvre ange que tu es. Tu as mille fois raison, mon Toto, quand tu dis que sans toi, sans ta raison, sans ta protection et sans ton amour j’aurais été une pauvre femme perdue à tout jamais. Aussi, mon cher bien-aimé, ce que je sens pour toi c’est une reconnaissance mêlée à de l’admiration et fondue dans un amour sans borne. Je sens que je t’aime de tous les amours à la fois. Je voudrais te le prouver en mourant pour toi. C’est un des rêves de ma vie que de te donner la mienne à la première occasion qui se présentera [4]. Je t’aime mon Toto.
Je ne regrette pas de n’être pas sortie tantôt puisque je t’ai eu à moi toute seule auprès de mon feu et avec toute liberté, ce que je n’aurais pas eu si j’étais sortie au milieu de la foule et par l’affreux froid noir qu’il fait aujourd’hui. Seulement mon bonheur n’a pas assez duré, je l’aurais voulu de 12 heures plus long. « Voime, voime, je t’en ficherai du bonheur de cette longueur-là, vieille Juju. Comme elle y va celle-là, est-elle gouliaffe. »
Voilà ce que vous dites en vous-même, vieux avare, et moi je vous aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 177-178
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette