Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1837 > Octobre > 3

3 octobre [1837]a, mardi soir, 9 h. ¼

Je t’aime mon Victor et quoique tu sois assez injuste envers moi pour en douter quelquefois, je t’aimeb plus que jamais. Je suis bien triste ce soir. J’ai des douleurs de cœur très vives, enfin je me sens prise d’un de ces affreux découragements qui m’avaient quittée depuis assez longtemps. Mais comme toutes les rechutes, celle-ci est plus forte que toutes les précédentes. Je suis en arrière de plusieurs lettres avec toi mon cher bien-aimé. Il est à regretter que je sois dans une disposition d’esprit si noire pour m’acquitter, car quels quec soient mes efforts pour être gaie, je sens que je n’y parviendrai pas. Mais tu ne m’en voudras pas, n’est-ce pas ? Tu ne comprimeras pas des plaintes qui ont besoin de s’exhalerd par cet étouffoir. Tu m’aimes moins qu’autrefois puisque tu penses à ton avenir et à celui de ton enfant [1]. Si, je t’aime autant qu’autrefois et plus encore et cependant je sens avec terreur tout mon avenir s’en aller brin par brin dans une ride au front ou dans des cheveux blancs. Il me semble que je suis coupable de n’avoir pas eu plus tôt cet instinct de ma conservation, de n’avoir pas, quand il en était temps, lutté avec plus de persévérance contre le mauvais sort qui me barrait le passage. Je me fais tous ces reproches parce que je t’aime et que je vois combien le soin de ma vie te devient de jour en jour plus lourd. Que sera-ce donc, mon Dieu, plus tard, si je ne parviens pas à reprendre mon état et si je ne meurs pas de désespoir ? Ne me gronde pas, ne prends pas ton visage mécontent. Je suis dans un paroxysmee de chagrin et de découragement comme jamais je n’en avais eu peut-être. D’ailleurs tout cela se passera. Je reprendrai mon courage et je te cacherai tous mes chagrins pour ne te montrer que mon amour. Aujourd’hui il faut me passer ma tristesse. Je t’aime mon Victor. Si tu en doutes à présent, à quoi donc ontf servi les trois dernières années qui viennent de s’écouler ? Mais tu crois bien que je t’aime, n’est-ce pas ? Et ce que tu en dis ce n’est que pour m’éprouver ?

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 229-230
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
[Souchon]

a) Après la date, le jour et l’heure sont illisibles. Nous les rétablissons d’après Souchon.
b) Jusqu’à ce mot inclus, la première ligne et demie est illisible. Nous la transcrivons d’après Souchon.
c) « quelques ».
d) « s’exaler ».
e) « paroxisme ».
f) Juliette a écrit « à » pour « a », et nous rectifions donc aussi le pluriel de rigueur.


3a octobre [1837], mardi soir, 9 h. ¾

Peu et bon, voilà le dicton populaire [2]. Moi je dis beaucoup toujours quand il s’agit d’amour, fût-il triste et malheureux comme un pauvre chien perdu. C’est ce qui fait que je t’écris une seconde lettre aussi tendre et aussi longue que la première, au risque d’ennuyerb Mme Pierceau qui s’étonne à bon droit de cet excès de mots les uns sur les autres. Je t’aime mon Victor bien aimé. Quelc que soit mon chagrin, je sens que je t’aime et que je ne pourrais pas vivre sans toi et quand je te verrai ce soir je te le prouverai bien par mes caresses et par mon amour. Si tu pouvais venir bientôt cela me calmerait et me consolerait de tous mes chagrins et de toutes les contrariétés que j’ai eues dans ce seul jour.
Cette pauvre Mme Pierceau, j’aurais vraiment mieux fait de ne pas la venir voir aujourd’hui. Je l’attriste et je l’inquiète, c’est bien indiscret à moi. Malheureusement, je ne peux pas faire autrement, parce que quand j’ai du chagrin tout le monde le voit. Venez vite mon Toto faire la paix avec votre pauvre Juju, quoique la guerre n’aitc pas été le moins du monde déclarée. J’ai besoin de te voir. J’ai besoin de serrer ta petite main. Si tu viens tout à l’heure, je te promets d’être très heureuse et très geaie. Ainsi vous voyez que je suis très bonne, très gentille et très JEUNE. Soir pa. Voici dix heures qui sonnent. Il me semble qu’il serait bien temps de venir, surtout si vous êtes resté dans le quartier. Je t’aime mon Victor. Ne dis plus jamais que je t’aime moins, cela me fait trop de mal.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 231-232
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) Juliette indique par erreur la date du 4. Nous corrigeons.
b) « ennuier ».
c) « n’est ».

Notes

[1Le soulignement signale la reprise d’une phrase que Victor Hugo a dite ou écrite à Juliette.

[2Les dictionnaires indiquent que ce proverbe signifie « on se contente de peu, pourvu qu’il soit bon ».

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne