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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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7 mai 1849

7 mai [1849], lundi matin, 6 h.

Bonjour, mon tout bien-aimé, bonjour, mon charmant petit homme, bonjour. Je suis sur pied depuis déjà une demi-heurea avec toutes mes croisées ouvertes et cherchant un peu de fraîcheur pour calmer l’agitation et le feu que j’ai dans le sang. Je suis sûre que je n’ai pas dormi trois heures dans toute la nuit. Du reste je ne souffre pas, je fais des sauts de carpe dans mon lit, voilà tout. Oui, mon Toto, voilà comme la République m’a fait le caractère, à ce point que je regarde à vous prêter mon savon et à vous faire user mes serviettes. Je deviens avare comme chicotin [1] depuis que vous m’avez mise à mes crochets. Voime, voime et je vous défends de prendre mon élixir en guise d’eau de Cologne sur votre mouchoir. Ça vous apprendra à me faire tirer comme un cheval sur vos semestres peu élastiques. Mon Toto bien aimé, mon doux ange, je te vois dans ce moment-ci comme si tu étais devant moi et je t’envoie des millions de baisers. Je voudrais être riche pour te combler, je voudrais être jeune pour rester plus longtemps avec toi, je voudrais être belle pour te plaire, je voudrais avoir de l’espoir pour être digne de toi. Je voudrais être la femme sur laquelle tu comptes, qui te plaît, que tu préfères et que tu aimes entre toutes. Je voudrais être pour toi ce que tu es pour moi : tout.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 121-122
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « demie heure ».


7 mai [1849], lundi matin, 10 h.

Je suis en avance, mon amour, car je suis déjà touta habillée. Je ne m’en plaindrai pas si de ton côté tu as quelque bonne occasion d’être prêt avant l’heure, ce dont je doute à vrai dire. Encore si tu m’avais donné les journaux, j’aurais pu employer mon temps à les lire. Cependant tu ne vas pas croire que je suis désœuvrée pour cela, car j’ai bien des choses à faire et beaucoup plus importantes. Ainsi ce que j’en dis n’est que dans l’intérêt de ma politique et pour me tenir au courant de ce qui se passe dans la plus belle des Républiques. En attendant je suis très contente de la sortie de Maître Chaix d’Est-Angeb et je lui vote des couronnes civiques [2]. Je suis ravie que cettec espèce de beau-fils suranné et fané ait reçu ce camoufletd en plein pife. On m’aurait chargée de l’engueulade que je n’aurais pas mieux fait et cependant Dieu sait que je m’y entends quelque peu. Enfin je suis ravie, c’est mon opinion. Taisez-vous, bêtaf généreux et laissez ces hideux charlatans se démolir entre euxg au grand plaisir des honnêtes gens qui n’en ont pas à revendre, du plaisir, depuis l’Ère fortunée de la gracieuse et sainte République et baisez-moi à rouge.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 123-124
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « toute ».
b) « d’Estange ».
c) « cet ».
d) « camoufflet ».
e) « piff ».
f) « bêtât ».
g) « entr’eux ».


7 mai [1849], lundi soir, 7 h. ½

Je suis chez moi, mon doux adoré, tête à tête avec mon cœur, et je n’en suis pas fâchée car je ne peux pas en ton absence avoir meilleure compagnie. J’étais allée chez les Vilain [3] leur porter la fameuse potion et dans le cas où ils m’en auraient bien priée j’y serais peut-être restée, mais ils avaient l’air contraint de gens qui viennent de se chipotera, ce que voyant je me suis empressée de rentrer chez moi. J’en suis très contente parce que rien ne me plaît plus que de vivre avec ma pensée et entourée de tous mes chers souvenirs. Il n’y a que toi que je leur préfère. Du reste, mon amour, la pluie m’a reprise aussitôt que je t’ai eu quitté et le temps de faire faire ces six potions, d’en porter deux à Eugénie et de revenir chez moi, tout cela a fait 1 h. ½ de voiture avec le pourboire 2 francs 5. De toute façon, mon cher petit homme, je n’aurais pas pu rapporter ces trois paquets embarrassants et assez lourds à pied et par une pluie battante. Chaque fiole coûte 25 sous, ce qui fait 5 francs pour les quatre, c’est-à-dire 7 francs 5 sous avec la voiture que vous me devez. Eugénie m’a remboursé tout de suite mes AVANCES. Faites-en autant de votre côté pour toutes celles que je vous ferai avec et sans calemboursb et vous serez très gentil. En attendant dînez bien, pensez à moi et ne revenez pas trop tard. Je n’ose pas vous dire de venir me voir en passant, mais je me permets de le désirer beaucoup. C’est dans mon organisation.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 125-126
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « chipotter ».
b) « calembourgs ».

Notes

[1Le chicotin, suc de l’aloès d’une grande amertume, est à l’origine de l’expression « être amer comme chicotin ».

[2Allusion au rôle tenu par Chaix d’Est-Ange dans l’affaire qui a opposé L’Assemblée nationale à Armand Marrast. Le 5 mai 1849, le célèbre avocat a défendu L’Assemblée nationale, accusé de diffamation envers Armand Marrast. Le 7 mai 1848, Chaix d’Est-Ange fait publier dans la presse une lettre dans laquelle il répond aux accusations du National, selon lesquelles ses intentions durant le procès étaient de satisfaire ses « rancunes personnelles ». Offensé, l’avocat souligne l’invraisemblance des propos rapportés par le journaliste. (La Presse, 7 mai 1849, n° 4696).

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