Guernesey, 15 octobre [18]67, mardi matin, 8 h. ½
Cher adoré, nous voici rentrés dans notre bon petit Guernesey si paisible, si doux, si grand et si charmant, et j’en remercie Dieu et nos deux anges de là-haut [1] avec toute l’effusion de mon cœur et de mon âme. Qu’ils soient bénis sur la terre et au ciel par toi et par moi, à présent et de toute éternité.
J’espère que tu as passé une aussi bonne nuit que la mienne et que tu vas bien ce matin. J’aurais voulu t’épargner toutes les tracasseries du ménage de ta maison et de la mienne. Malheureusement cela n’est pas possible, les servantes de ce pays étant données. Tout ce que je peux faire, c’est de garder pour moi mes propres déboires et de me hâter de te débarrasser de l’aria [2] de ma nourriture soir et matin, c’est-à-dire de te donner le triste souci de tenir maison ouverte pour toi et pour moi tous les jours. Cela ne se fera pas aussi vite que je voudraisa à cause des difficultés de toutes sortes qui entravent forcément mon désir, comme le ramonage des cheminées, le fourneau à remplacer et le foyer à remaçonner à neuf, la maison à nettoyerb du haut en bas, l’absence de servante doublée du mauvais vouloir quinteux de Suzanne. Tout cela retardera, je le crains, le moment où je pourrai t’ouvrir ma maison toute grande comme je t’ouvre mes bras et mon cœur, ma pensée et ma raison qui tous t’appartiennent.
BnF, Mss, NAF 16388, f. 248
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « je voudrai ».
b) « nétoyer ».