11 mars [1836], vendredi matin, 8 h.
Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour ma joie, bonjour mon grand Toto.
Il fait bien mauvais temps ce matin ; pauvre cher petit homme, prenez bien garde de ne pas souiller vos jolies petites pattes pour ne pas avoir mal à la gorge, entendez-vous ?
J’ai passé une assez bonne nuit quoique je me sois réveillée souvent, ce qui m’a donné l’occasion de penser chaque fois à vous et de vous aimer de toute mon âme. Je vais dire tout à l’heure au portier la nouvelle sécurité que nous leur offrons et j’espère ne pas éprouver de rats [1] à l’endroit de la serrure. Si cela pouvait ne pas aller pour impossible, je crois que j’en concevrais un véritable chagrin qui m’ôterait tout le bonheur et toute la joie que je suis habituée d’avoir depuis que tu es le maître de la maison. Mais ce malheur-là n’arrivera pas, c’est impossible. Aussi je me livre au plaisir d’avoir la plus belle chambre des trois royaumes [2] et même du Maroc. Attrape. Il faut que je me dépêche parce que les tapissiers vont arriver et qu’il faut leur livrer ma chambre. Et puis je vais vous voir, ce qui vaut mieux que de vous écrire, et puis vous êtes mon Toto, vous êtes ma joie, mais vous ne serez pas encore cette fois mon ACADÉMICIEN [3].
Je vous aime, je vous baise et je vous mords le bout du nez.
J.
BnF, Mss, NAF 16326, f. 177-178
Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa
11 mars [1836], vendredi soir, 8 h. ½
Chèrea petite âme, vous voilà bien joyeuse, j’espère, avec votre clef du paradis. J’ai encore eu un petit assaut à soutenir, moi, aussitôt que vous avez été parti, mais cela n’a rien été. Maintenant, mon pauvre ange, que notre petit palais va être bientôt terminé, j’espère que nous le fêterons de la bonne manière. Pour cela il faudra tâcher que je me repose un peu, que je me soigne un peu car vraiment je m’abrutis dans la crasse et dans les immondices.
Je n’ose vraiment plus te regarder ni te toucher, toi, si beau, si pur, si charmant et moi si laide, si sale, si exténuée qu’il me semble que je te révolterais en me disant ta Juju. Mais tout cela ne peut pas durer et ma peau d’âne va tomber et laissera voir ma robe couleur du ciel parsemée d’étoiles d’or, et même qu’un prince m’épousera après avoir mangé de ma cuisine. Han ! Han ! Ce sera un peu fameux. En attendant cette métamorphose, permettez-moi de vous aimer à travers toutes mes souillures. Ne prenez pas garde au réchaud qui garde la flamme. Vous verrez que dans le ciel, je serai aussi belle que vous. En attendant, je baise vos bottes, vous en serez quitte pour les faire recirer.
J.
BnF, Mss, NAF 16326, f. 179-180
Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa
[Guimbaud, Massin]
a) « Cher ».