Mardi soir
J’ai commencéa ma journée par souffrir – Je l’achève en souffrant mille fois plus que ce matin – car j’ai maintenant la certitude que tout est fini entre nous –
Ce que j’ai fait toute cette pénible journée, Dieu seul le sait – car, excepté mes souffrances, je ne me souviens de rien – Ah ! si – je t’ai désobéi. Pardonne-moi pour aujourd’hui – pardonne-moi pour toujours – car je ne pourrai pas faire autrement que de te désobéir toujours –
Cette désobéissance, tu la devines – Je suis alléeb chez toi. Il n’y avait de lumière que dans la salle à manger. Je n’ai pas oséc m’informer si tu étais chez toi – J’ai attendu 1 h., puis je suis allée par la rue Saint-Antoine et les quais jusqu’à la rue de Seine [1] – Là, j’ai encore attendud. Enfin, ne voyant pas ce que je cherchais avec tant de désespoir, je suis rentrée chez moi à minuit et demie.
Voici quelques minutes que je t’écris – Pendant que j’y suis, la mémoire des choses et du temps me revient, voici encore ce que j’ai fait. J’ai fait un choix de toutes les lettres que tu m’avais laisséesf. J’ai pris celles qui me parlent le plus de toig – Je les ai prises toutesh. Ensuite, j’ai mis en paquet les draps de mon lit, je les ai pliési à genoux et en prière – et quand j’ai eu fini – j’ai écrit dessus –
Ceci est mon linceul.
Je te dirai le reste demain. Les larmes m’étouffent. Je crois que je vais mourir.
Ne m’oublie pas.
Adieu.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16323, f. 5-6
Transcription de Jeanne Stranart et Véronique Cantos assistées de Florence Naugrette
[Souchon, Blewer]
a) « commencée ».
b) « allé ».
c) « osée ».
d) « attendue ».
e) « demie ».
f) « laissé ».
g) « j’ai pris celle qui me parle le plus de toi ».
h) « prises toutes » souligné deux fois.
i) « plié ».