16 mars 1855

Jersey, 16 mars 1855, vendredi matin, 7 h. ½

Je vous donne mon bonjour matinal, mon cher petit homme, en profitant d’un pâle rayon de soleil qui ne tardera pas à disparaître devant les couches de pluies qui se superposent déjà au-dessous de lui. Le bonheur de vous avoir ce soir m’a réveillée de bonne heure. J’aurai plus de temps pour distiller mon plaisir goutte à goutte d’ici à ce soir et d’en remplir mon cœur jusqu’au bord dès que vous serez là ! Et puis, comme l’appétit vient en aimant, je vous demanderai quand vous reprenez nos chères petites promenades à travers champs et à travers choux ? Il n’y a pas de temps à perdre surtout si nous devons nous en aller de l’île bien tôt. Hélas ! Dieu sait ce que nous trouverons après cette petite île si verte, si tranquille et si bénie de mon amour. Aussi la sagesse serait de mettre à profit toutes ces minutes de loisir, dont tu peux disposer, à revoir tous les endroits charmants que nous connaissons. Le cœur et la santé y gagneraient en même temps. Et à ce propos je te dirai que je me sens un peu lourde et gonflée de mon SÉDENTARISME forcé pendant ce long hiver. Je crois qu’il serait utile maintenant que je fasse un peu d’exercice MAIS avec toi. Autrement cela me fait plus de mal que de bien. Telle est mon organisation jujuquoise ! En attendant j’excelle dans l’art des restitus stupides : plus ça va pires elles sont. Et pourtant je ne le fais pas exprès. Je t’en demande même très humblement pardon même et je te supplie de ne pas m’en vouloir et de considérer que je t’aime d’autant plus que je suis plus bête. Maintenant, mon cher petit homme, que je vous ai avoué mon faible et mon fort, je vous baise comme supérieurement AD HOMINEM. 

BNF, Mss, NAF 16376, f. 113-114
Transcription de Magali Vaugier assistée de Guy Rosa