Jersey, 13 février 1855, mardi après-midi, 4 h. ½
Voici l’heure SACRAMENTELLE d’aller à la ville, mon cher petit Chaumontel, aussi je vous guette dans l’espoir de vous voir accourir à toutes jambes et le nez au vent comme le petit Courrier des dames que vous êtes. Pendant ce temps-là, j’achève de cuver ma migraine et je tremble dans ma peau de Juju sous le prétexte vain qu’il fait un froid criméen [1]. Du reste, je continue à ne rien recevoir de la part des deux commères chargées de mes affaires à Paris [2]. Pour peu qu’elles persistent dans ce système muet, il me faudra recourir à d’autres dévouements moins laconiques. Mais si on pouvait supposer que cet état de choses doit durer encore longtemps, le plus sage serait de faire vendre mon pauvre petit bataclan et d’employer l’argent qu’on en retirerait, à TIRER tout ce qui reste au Mont-de-Piété. De cette façon, toutes complications de dévouement douteux et d’affections ennuyeusesa le simplifieraient beaucoup et j’y gagnerais quelques ports de lettres dont j’engraisserais mes épinards, ce qui ne serait pas si bête. Voyons, mon cher petit magicien, tâchez de voir AUSSI loin que le nez de Suzanne dans l’avenir boustrapatiste afin que nous avisions à prendre un parti définitif pour nos affaires. En attendant, je reste là, le bec dans l’eau, à voir tourner mon amour sous vos pieds.
Juliette
BNF, Mss, NAF 16 376, f. 68-69
Transcription de Magali Vaugier assistée de Guy Rosa
a) « ennuieuses ».