Guernesey, 8 décembre 1861, dimanche matin, 7 h. ¾
Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour pendant que tu vas et viens sur ton balcon, que tu fais ton ménage et que tu secoues tes puces avant que la pluie ne tombe. Justement, voilà qu’elle se rue de toute sa force sur la terre et sur l’onde. Heureusement que tu n’as rien à ta fenêtre. Tu me parais, à distance, tout à fait alerte, gaillard, bien portant et verdoyant, ce qui n’est pas un tort, au contraire. Quant à moi, je vais aussi très bien ce matin, seulement je n’ouvre pas mes fenêtres aussi matin à cause de l‘humidité. Il est vrai que je n’ai pas la même exposition que toi. Ah ça c’est assez embêtant tout ce que je te raconte là, il me semble, ce n’est pourtant pas faute de sujets plus intéressants, à commencer par celui qui prolonge de 4 jours et peut être de nuit, le bonheur d’être votre gargotièrea en chef et sans partage [1]. Cher adoré, c’est en effet une chose bien importante et bien heureuse pour mon cœur que ces quelques jours de grâce que la providence me donne, sans diminuer sensiblement ton propre bonheur ni celui de personne autour de toi. Aussi vais-je en profiter sans trouble et sans remords et en tâchant de mettre les morceaux doubles. Mais, quoique je fasse et quelque soit le temps que durera le bonheur, je n’en prendrai jamais assez pour satisfaire l’appétit insatiable de mon cœur et de mon âme. Voilà ce qui est vrai, vrai, vrai, à preuve que j’ai ce matin une fringale de nos baisers et que je vous adore.
BnF, Mss, NAF 16382, f. 173
Transcription de Sophie Gondolle assistée de Florence Naugrette
a) « gargottière ».