Guernesey, 11 mars 1861, lundi, 1 h. ½ après-midi
Ce n’est guère prudent à toi, mon cher petit homme, de sortir par ce temps de giboulées, de froid et de vent et je crains beaucoup que tu ne te fasses plus de mal que de bien. J’aurais voulu t’en dissuader mais, d’un autre côté, tu as tant besoin d’exercice qu’il est bien difficile de te donner un conseil qui concilie les soins de ta santé et la nécessité de ton travail. Aussi, je me suis abstenue, me résignant à t’aimer et à désirer de toutes mes forces que cette promenade, loin de te faire aucun mal, te fasse tout le bien possible. Quant à moi, je ne suis pas allée avec toi parce que je suis en proie à toutes sortes de petites douleurs qui ne demandent qu’un prétexte pour passer à l’état de grandes crises. Aussi, par prudence, je me suis privée de t’accompagner, mais non pas sans un vif regret. J’espère que tu ne seras pas trop longtemps dehors et que je pourrai rester auprès de toi, le plus près possible. Je ne t’ai pas donné ma restitus à l’heure accoutumée parce que j’ai enfin eu du charbon à faire loger mais tu vois que mon cœur n’a rien perdu pour attendre car je t’aime en plus de tout le temps qui s’est écoulé depuis ce matin jusqu’à présent. Ça n’est peut-être pas très clair pour toi ce que je te dis là, mais je me comprends et je sais que je t’adore et que j’en suis bien heureuse.
BnF, Mss, NAF 16382, f. 69
Transcription de Sophie Gondolle assistée de Florence Naugrette