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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 6 févr[ier] [18]63, vendredi matin, 8 h. ¾

Bonjour, mon cher petit souffrant ; bonjour, mon pauvre grippé, bonjour de toute mon âme. Comment as-tu passé la nuit et comment te sens-tu ce matin ? Je voudrais le savoir pour laisser mon bonheur aller la bride sur le cou sans aucun souci de ta chère santé. En attendant que je sache à quoi m’en tenir avec certitude sur ta nuit et sur l’état général de ta chère petite personne, ma pensée fait un continuel va et vient de ton cœur au mien, et réciproquement. J’interroge avec anxiété tous les points de l’horizon pour voir si quelques rayons de soleil ne montrent pas le bout de leur nez mais je ne vois rien qu’un affreux brouillard froid et pénétrant tout chargé de coryzasa et de catarrhesb sans compter les prédictions pluviales et ventoses de l’astrologue Mathieu de la Drôme [1] lequel ne nous promet pas poires molles pour toute cette année. Ce serait à enrhumer les poissons rouges eux-mêmes et à donner des lombagos aux soles et aux turbots. Ceci me fait penser à envoyer chercher des nouvelles du pauvre Quesnard lequel doit me trouver bien indifférente comparée à toutes les sollicitudes féminines dont il est entouré par tout Hauteville House [2]. Mais, mon cher adoré, je m’absorbe si complètement dans toi que je ne peux penser à qui et à quoi que ce soit en dehors de toi. C’est encore ce sentiment qui me fait désirer d’avoir dans ma maison quelqu’un qui puisse suppléer aux lacunes nombreuses qui se font de jour en jour entre ta vie et la mienne et si je pouvais avoir cette brave femme, ma proche parente [3], auprès de moi, il me semble qu’avec son aide tu retrouverais en moi et chez moi tout ce que tu es obligé de demander à des étrangers et loin de moi. Je regarderais comme une bénédiction de Dieu que ce secours humain me fût accordé mais quoi qu’il arrive sois béni, toi, mon généreux homme, pour la bonté ineffable avec laquelle tu te prêtes à ce désir de mon cœur. Je t’adore.

BnF, Mss, NAF, 16384, f. 33
Transcription de Chantal Brière

a) « corizas ».
b) « catharres ».

Notes

[1Antoine Philippe Mathieu dit Mathieu de la Drôme (1808-1865), savant et représentant du peuple expulsé en Belgique après le coup d’État du 2 décembre 1851. En 1862 il publie un ouvrage sur la prédiction du temps au moyen des phases lunaires, théorie qu’il diffusera avec succès grâce à un almanach annuel.

[2Nom de la maison de Victor Hugo.

[3Dans sa lettre du 12 février 1863, Juliette précise l’identité de cette parente qui est sa cousine de Rouen.

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