Guernesey, 6 mai [18]63, mercredia, midi ¾
Ainsi, mon pauvre bien-aimé, tu n’as pas bien dormi et tu as en plus un grand mal de tête qui dure encore en ce moment ; tout cela n’est pas fait pour m’égayer et j’attends ton retour avec impatience pour savoir si le déjeuner a fait une heureuse diversion à ce vilain malaise inattendub. J’espère que oui, j’espère en outre que ta petite promenade de tout à l’heure achèvera de dégager ta pauvre tête adorée. Quant à moi, je me porte honteusement bien et je le regrette puisque tu souffres. Si tu ne te hâtes pas de te guérir je suivrai ton mauvais exemple en me vautrant dans toutes sortes de maux et de migraines. Vous savez que ce sont nos conventions et que nous devons arriver du même pas et ensemble au but suprême : l’éternité. Donc, ni vous ni moi, ne pouvons nous écarter du programme sous aucun prétexte. C’est bien entendu, mon cher petit homme, et qu’il ne vous arrive plus de souffrir sans moi. D’ailleurs il fait un temps ravissant dont je veux profiter pour aller sur la montagne avec toi tantôt. Jusque là j’astique MON MÉNAGE et Suzanne débarbouille nos bibelots en vue d’un emploi prochain. Jusqu’à présent cette perspective future ne me console pas de la perte presque certaine de la PERSPECTIVE présente [1]. Je voudrais même pouvoir n’y pas penser tant cela m’est pénible. Il faut que je sente que cela est absolument nécessaire pour que je me pardonne d’y avoir consenti, Dieu veuille que je ne m’en repente pas amèrement toute ma vie. Mon bien-aimé, mon bien-aimé, JE SUIS TRISTE ET JE T’ADORE.
BnF, Mss, NAF, 16384, f. 118
Transcription de Chantal Brière
a) « 6 mai, mercredi 63 »
b) « inatendu ».