14 décembre [1844], samedi matin, 10 h. ¼
Bonjour, mon Toto bien-aimé, bonjour, mon adoré petit homme, bonjour bonjour. Tu es sans doute à Coulommiers ? [1] Tu n’as pas cru devoir me prévenir de ton départ hier, mon amour. Tu as bien fait puisque cela m’a sauvé une journée d’ennui et de regret. D’un autre côté, je t’ai attendu jusqu’à deux heures au coin de mon feu éteint et je ne me suis couchée que lorsque je n’ai plus eu d’espoir. Tout cela, mon pauvre ange, n’est rien si tu peux revenir aujourd’hui et si ton voyage ne t’a pas fatigué et enrhumé. Hélas, j’ai bien peur que tu ne sois forcé de rester plusieurs jours à Coulommiers. Il ne me paraît pas très facile de trouver un papier qui a couru d’une étude de Paris dans une étude de province dans l’espace de vingt ans. Je ne veux pas grogner ce pauvre vieillard mais en vérité c’est faire bien des dérangements pour peu de chose et prendre bien des précautions pour rien. Tu as bien fait de le satisfaire mais je serai bien malheureuse tout le temps que durera ton absence. Je ne pourrais pas ne pas l’être, c’est au-dessus de mes forces. J’ai beau me dire que je verrai ma fille ce soir, je sens que rien ne peut combler le vide de ton absence. Je suis triste mon pauvre adoré. J’ai le cœur serré et malade. Ne te fâche pas je ne peux pas t’aimer autrement.
Prends bien soin de toi, mon Victor adoré, pour que je n’aie pas le chagrin de te savoir malade après avoir eu celui de te savoir loin de moi. J’ai fait des rêves affreux ce matin et je ne serai tranquille que lorsque tu seras revenu et que je t’aurai baisé et rebaisé des pieds à la tête et que je me serai assurée que tu es en bon état. En attendant je suis la plus triste et la plus tourmentée des femmes et je t’aime de toutes mes forces et de toute mon âme. Ta pauvre vieille Juju.
BnF, Mss, NAF 16357, f. 149-150
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette
14 décembre [1844], samedi soir, 6 h. ¼
Enfin te voilà revenu [2], mon adoré, je n’ai plus que de la joie dans le cœur puisque tu veux absolument que je n’y loge que ça. Mais bien près de la porte se tient accroupiea la crainte de ne pas te voir ce soir et encore moins cette nuit. Je ne peux pas me livrer à une espérance qui ne se réalisera pas, j’en suis sûre. Il faut que je me contente du bonheur de te savoir revenu de la campagne, ce qui suffit pour me rendre heureuse dans ce moment-ci. Je m’étais si bien fourré dans l’esprit que tu serais forcé d’y rester plusieurs jours que je suis toute transportée de joie de ton retour inespéré. En y joignant le souvenir de toutes les bonnes tendresses que tu m’as dites depuis trois jours, je suis heureuse, mon cher bien-aimé. Combien de temps cela durera-t-il ? Je n’ose pas te le dire parce que je sens que je suis déjà très effrayée de la pensée que je ne te verrai pas avant ce soir. Que sera-ce donc si je ne te vois pas avant demain ? ? ? Mais n’anticipons pas sur ce vilain avenir. Puisque tu veux que je sois heureuse je le suis : Quel Bonheur !!!! Toto EST REVENU !!!! Si tu viens ce soir et si tu restesb je n’aurai plus rien à désirer, je serai la plus heureuse des heureuses femmes de ce monde. Tu vois que cela dépend de toi, mon cher amour. En attendant je fais tout ce que je peux pour espérer et pour avoir confiance en ma bonne fortune. Ton arrivée si désirée et si peu attendue est un encouragement. J’espère donc et surtout je t’aime de toute mon âme.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16357, f. 151-152
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette
a) « accroupis ».
b) « reste ».