Paris, 8 juin 1879, dimanche Saint-Médard, 4 h. ½ du soir
Cher bien-aimé, tu ne peux pas t’étonner, n’est-ce pas, de l’heure insolite de ma restitus aujourd’hui après la soirée d’hier ? D’abord, j’étais si heureuse de ton nouveau triomphe [1] et je m’y était tellement [affairée ?] mains, yeux, cœur et âme que j’en étais et en suis quasia toute courbaturée. Les forces physiquesb contrairement à celles de l’âme ont leurs limites qu’on ne peut toujours dépasser à la grande humiliation de la pensée, de l’enthousiasme et de l’amour. Je le sens chaque fois que je suis en communication directe avec les chefs-d’œuvrec de ton génie comme hier où tout mon être vibrait et répercutait, en les multipliant, en les agrandissant et en les sublimant, les admirations, les applaudissements, les tendresses et les adorations de la foule éperdue et délirante contemplant ton génie face à face comme celui de Dieu lui-même.
Mais puisque te voilà je ferme pour aujourd’hui toutes les écluses de mon cœur pour profiter à loisir du petit moment de tête à tête que j’ai la bonne fortune d’avoir en ce moment. Je te ferai remarquer en passant, à propos d’écluses, que le vieux Médard [2] ne semble pas disposé à ouvrir les siennes jusqu’à présent. Espérons qu’il persévérera jusqu’à minuit dans sa rétention. En attendant l’heured réglementaire de la confiance, sans parapluie, je te souris, je t’aime, je te contemple, je te respire, je te bénis et je t’adore.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16400, f. 146
Transcription de Chantal Brière
a) « casi ».
b) « phisyques ».
c) « chefs-d’œuvres ».
d) « leur ».