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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1834 > BnF, Mss, NAF 16322, f. 239-240

Mercredi matin, 10 h. ¼

Bonjour, mon bien cher Toto, as-tu bien passé la nuit ? Tu n’es pas venu ce matin et, en vérité, je n’ai pas le courage de t’en faire un reproche en songeant combien tu devais être fatigué. Si tu étais venu d’ailleurs, tu aurais été trop inquiet de l’état où j’étais. Figure-toi qu’à 3 h. 20 m. ce matin, il m’a pris des coliques et des vomissements tout à la fois, pendant lesquels j’ai cru mourir sans avoir la force d’appeler du secours. Après avoir vomi, et souffert tout ce qu’on peut souffrir, je me suis traînée jusqu’à mon lit, inondée de sueur et de vinaigre que, fort heureusement, j’avais trouvé sous ma main. Depuis ce temps-là, je n’ai pas cessé de souffrir toujours un peu, j’ai pris plusieurs remèdes, un entre autresa, qui fera merveille, car je l’ai saturé de laudanum. Tu vois, mon bon cher Toto, que je n’ai pas manqué d’occupation depuis que tu m’as quittéeb. Je suis vraiment fort triste de sentir combien ma santé va en se détraquant de jour en jour. Sais-tu que d’après ce qui m’est arrivé cette nuit, je ne suis pas sûre en te quittant le soir de te revoir le lendemain matin, car pendant que je vomissais, j’avais au cœur des suffocations si terribles que je ne pensais pas en revenir. Mon cher petit homme, mon Victor, mon amant chéri, si ce cas-là arrivait, je ne veux pas que tu t’affliges, pense que mon dernier souffle, ma dernière pensée aura été pour toi et que s’il survit quelque chose de nous après nous, mon amour tout entier se sera réfugié dans ce quelque chose, et que tu le retrouveras en temps et lieu. Voilà ce que je veux que tu saches, je ne veux pas laisser derrière moi des chagrins que je ne pourrais pas consoler.
Maintenant que je t’ai dit tout le fond de ma pensée, il faut que je t’apprenne que je me sens mieux, que dans un moment, peut-être, il n’y paraîtra plus, et que lorsque je te verrai, je serai brave et gaillarde, et que j’aurai la force de te baiser comme je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16322, f. 239-240
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « entrautres ».
b) « quitté ».

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