23 juillet [1837], dimanche matin, 8 h. ¼
Bonjour mon cher petit homme. Je me lève de bonne heure, comme vous voyez. J’aimerais mieux faire la paresseuse de Bonheur, mais ce que femme veut, l’homme ne veut pas [1], ce qui est cause que je me lève avec l’aurore. Il est certain qu’Héloïse et Abailard n’étaita que de la Saint-Jean [2] à côté de nous. Je suis obligée de rêver plus que le RESTE. Enfin cela s’appelle je crois de l’amour platonique. Faisons donc de l’amour platonique. Mais c’est bien plat o nique [3]. Si j’avais le choix, j’aimerais mieux l’autre… Tu sais celui de 1833, 1834, 1835, 1836 qui, pour n’être ni plat, ni nique, avait bien son mérite et son charme.
Tu as travaillé toute la nuit, mon cher petit homme adoré. J’y pense, bien sûr, et je t’en aime encore plus si c’est possible, car à mon amour se mêle la reconnaissance, autre espèce d’amour qui fait que je t’aime avec le cœur et les entrailles. Si je me plains de ne pas te voir, ce n’est pas un reproche, mon bon petit homme, au contraire. J’ai besoin de te voir et j’ai besoin de savoir que tu te reposes. Or, ce n’est possible que quand tu viens à la maison. C’est pour cela que je me plains de t’y voir si peu. Comment va notre petite Dédé ? Bien n’est-ce pas ? Pauvre petite fille. QUEL BONHEUR [4] ! Maintenant que tu as passé cette inquiétude, il faut que je te parle des livres pour Mme Krafft. C’est dans 15 jours sa fête. Je suis honteuse, vraiment honteuse pour toi et pour moi [5]. Toto je t’aime, Victor je t’adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16331, f. 85-86
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) Nous ne corrigeons pas ce singulier, Juliette pensant probablement ici au couple en tant que tel, formant une entité inséparable.
23 juillet [1837], dimanche soir, 8 h.
Je vous écris aussitôt après le dîner, mon cher petit homme, parce que si vous venez me chercher je n’aurai plus le temps de le faire. Vous demandez si je vous aime, mon Toto. En vérité, c’est une question pour le moins inutile, car vous savez trop que je vous aime de toute mon âme, que je n’ai de joie qu’en vous. Je vous fais grâce des maux et des tristesses qui me viennent aussi de vous, mais comme ils sont en minorité, ils ne comptent pas.
J’aurais voulu que vous fussiez là lorsque je suis rentrée dans ma chambre pour entendre Mme Pierceau s’indigner de votre soupçon et de votre peu de mémoire. Tu vas donc encore faire une pièce [6] ? Que vais-je devenir pendant ce temps-là ? Encore si j’avais l’espoir d’un petit voyage tout de suite après. Mais rien. C’est bien peu, c’est trop peu, et il est probable que cet hiver me verra malade et découragée. Enfin j’irai tant que la vie voudra de moi. Après ça ne me regardera plus. Tiens, je ne veux pas trop penser à cela, parce que déjà ce soir il faudrait pas me prier pour être très triste et très malade. Soir pa, soir man. Je t’aime mon Victor. Je vous aime mon grand et sublime Toto. Je suis très aise qu’on ait tombé sur la carcasse du Viennet [7]. Vive Viennet !
Je t’aime, je t’aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16331, f. 87-88
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein