Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1837 > Juillet > 20

20 juillet [1837], jeudi, veille de la Saint-Victor, 1 h. ¾ après midi.

Merci, mon petit homme bien aimé, merci du bouquet que tu m’as donné pour ta fête. Je suis la plus heureuse et la plus comblée des femmes, car outre le bonheur de vous avoir eu une partie de la nuit et de la matinée, vous m’avez promis une lettre sur laquelle je compte pour me réjouir et me rafraîchir le cœur. D’autres vous donneront de beaux vers, vous feront de beaux compliments et vous apporteront de beaux cadeaux. Mais personne ne vous donnera un amour aussi parfait et aussi complet que celui que votre pauvre Juju vous a donné depuis le premier jour où elle vous a vu. Ne le dédaignez donc pas aujourd’hui, mon cher petit bien-aimé, et donnez-lui la place d’honneur dans votre capharnaüm (est-ce comme cela que ça s’écrita ?) encombré de plus de présents et d’hommages que jamais rois mages n’en ont mis aux pieds du petit Jésus. Je vais envoyer chercher ma Claire. Je veux qu’elle prenne sa petite part des réjouissances publiques en l’honneur de la Saint-Victor empereur et roi de toutes les intelligences. Si je dis des bêtises, vous n’avez qu’à retourner le sens de toutes mes phrases. Car il est évident que j’ai l’intention de dire les choses les plus aimables, les plus spirituelles et les plus tendres du monde. J’espère que notre pauvre petit ange malade aura voulu faire honneur à votre fête en se portant mieux aujourd’hui [1]. Pauvre petite fille, c’était si gentil et si touchant son désir d’être guérie pour la fête du petit Papa. Et puis tu serais si heureux de son retour à la santé que je ne peux pas m’empêcher de croire que le bon Dieu aura fait un miracle en faveur de tant de cœurs qui attendent après cela pour se réjouir et s’épanouir.
Tu sais bien mon petit homme que je ne compte pas sur ta promesse de revenir tout de suite. Je sais que tu es occupé et retenu chez toi par mille soins dont la plupartb sont sacrés. Aussi je ne m’impatienterai pas et je ne me plaindrai pas, surtout si tu m’envoies ma chère petite lettre. Je baise toute ta chère petite personne à plusieurs reprises et jusqu’à ce que vous criiezc grâce.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 71-72
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein


a) « c’écrit ».
b) « plus part ».
c) « criez ».


20 juillet [1837], veille de Saint-Victor, jeudi soir, 7 h. ¾

J’ai reçu ta bonne lettre, cher bien-aimé. Je l’ai lue d’abord avec passion, ensuite avec recueillement, car je voulais incruster chacun des mots si avant dans mon âme qu’ils ne pussent jamais s’en aller ensuite. Merci mon cher et sublime Victor, merci pour les paroles remplies de tendresse et de confiance que tu m’écris dans un jour triste et plein d’inquiétude [2]. Je voudrais en échange de ta bonne lettre rendre la santé à notre pauvre petite bien-aimée à quelque prix que ce fût. Je ne sais pas, excepté de ne plus t’aimer, quel sacrifice je ne ferais pas pour lui voir reprendre sa santé et son sourire qui en font l’enfant le plus charmant et le plus ravissant qu’on puisse voir. Malheureusement, Dieu ne fait pas de transaction avec sa créature, et les plus dévoués ne peuvent rien contre sa volonté, même quand elle s’exerce sur un être aussi petit et aussi faible. La seule preuve de dévouement que je puisse te donner à l’heure qu’il est, et qui me coûtera plus que toutea autre chose, c’est de te prier de consacrer tous tes soins, tous tes instants, à cette pauvre chère petite fille. Je serai fière et heureuse cette fois de souffrir pour cette pauvre petite bien-aimée, et puis tout le monde chez toi doit avoir besoin d’aide et de consolation. Je serai doublement heureuse de leur donnerb ma part de toi. Oh qu’on la prenne et qu’on en fasse bon usage. Pour cette fois je ne serai pas jalouse, quitte à rentrer dans mes droits plus tyranne que jamais aussitôt ma Dédé guérie. Je ne peux pas te dire, mon cher adoré, à quel point tu es tout pour moi. Combien tu es mon beau, mon noble, mon ravissant, mon sublime et adoré Victor. Si je plagie, c’est malgré moi et d’abondance. D’ailleurs, les beaux esprits se rencontrent bien, pourquoi les nobles cœurs ne se rencontreraient-ils pas pour dire la même chose ? Je t’aime, je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 73-74
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « tout ».
b) « donné ».

Notes

[1Allusion à la petite Adèle, dont l’état est toujours préoccupant après une fièvre typhoïde contractée fin juin.

[2La lettre du 20 juillet, 3 h. ½, envoyée par Hugo à Juliette, commence en effet ainsi : « En rentrant, j’ai trouvé le pauvre petit ange plus malade. Elle a pris un bain, et va maintenant un peu mieux. Je profite de ce rayon pour t’écrire, afin de ne pas t’envoyer de sombres paroles le jour de ma fête » (lettre publiée par Jean Gaudon, ouvrage cité, p. 93). C’est que l’état de santé de la petite Adèle est encore préoccupant après la fièvre typhoïde qu’elle a contractée fin juin.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne