15 juillet [1837], samedi matin, 9 h.
Eh ! quoi, pas même avoir étrenné le beau lit ! Ça prometa pour l’avenir. Décidément le VENDREDI n’est pas mon jour de Bonheur. Il est vrai que les autres sont mes jours néfastes, ce qui établit une fameuse compensation sur toute la vie. Je t’aime mon cher petit homme. Tu as beau me traiter avec indifférence comme une femme qu’on n’aime plusb, moi je t’aime. Mon cœur et ma vie sont à toi. À toi mes pensées dans le jour et mes rêves dans la nuit. Et à propos de cela je te dirai que j’ai donné une volée atroce à Mme Pierceau à cause de toi. Pauvre femme, on ac bien raison de dire : tout songe, tout mensonge. Je suis bien sûre que celle-là t’aime et t’admire en conscience. Mais mon cher petit Romain, portez-moi donc votre fameuse croix [1]. J’ai tant envie de l’avoir. Elle me sera si précieuse. J’en aurai si soin et je serai si fière de l’avoir que vous devriez bien ne pas retarder davantage ce bonheur-là. Jour mon petit homme. Jour mon maître. Jour on jour. « Vois Toto comme il est mal élevé… alors il l’appelle bête, il l’appelle oie, il l’appelle serine, est-ce que je sais, moi ? [2] ». Comment vous appellerai-je, moi ? Après avoir épuisé tous les noms les plus doux et les plus tendres pour que vous les entendiez, je seraid autorisée à vous appeler monstre, scélérat, gredin, et autres que la pudeur m’empêche de nommer. Vous les mériteriez mieux que mon petit homme, mon cher bien-aimé, mon Victor adoré.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16331, f. 53-54
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « promets ».
b) « qu’on aime plus ».
c) « on n’a ».
d) « serais ».
15 juillet [1837], samedi soir, 10 h.
Mon cher petit homme, mon cher petit homme, vous voyez bien que vous êtes un grand Vacapomd [3]. Vous n’êtes pas seulement venu voir votre pauvre Juju un peu à la vôlée [4] ce soir. C’est bien mal de votre part.
J’ai joliment parlé de vous tantôt, les oreilles ont dû joliment vous corner et la gauche surtout. Il paraît que bientôt je ne pourrai plus dire un traître mot sans que ce soit de vous. Cependant, ya pas [5] beaucoup de DESSERT ni d’autre chose. Il a fait un temps effroyable quand tu m’as eu quittée. Comment as-tu fait pour t’en retourner, c’est-à-dire te promener en travaillant ? J’ai bien pensé à toi. J’avais envie de te descendre un parapluie, mais je craignais de ne plus te trouver à ton poste. Il paraît que M. D [6]. a lu de tes vers au meunier de son moulin et qu’il s’est écrié (le meunier) ah ! comme ça M’ÉMOUVE ! Sensible meunier ! Ah ça, vous savez que je dîne demain en tête-à-tête avec un godelureau. Arrangez-vous là-dessus et prenez vos mesures, mais je n’en rabattrai pas un cheveu de la tête du garçon [7].
Ma croix, ma croix, ma croix, ma croix [8]. Je t’aime mon Toto. Je t’aime, je t’aime, je t’aime. Tu es mon beau Toto, tu es mon Toto adoré.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16331, f. 55-56
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein