7 juillet [1837], vendredi matin, 9 h. ½
Bonjour mon cher petit homme, bonjour. Je vous aime. Je suis furieuse. Tout cela se mêle très bien et fait un [singe-frit ?] où l’amour domine peut-être un peu trop. Car si je vous aimais moins, vous seriez plus empressé, c’est bien sûr.
J’ai passé ma nuit à rêver de vous. C’est bête ! Je vous demande un peu à quoi vous pouvez passer votre temps. Car enfin il faut bien, si peu que ce soit, que vous preniez un peu de repos. Eh ! bien, pourquoi ne pas me donner la préférence ? Je vous arrangerai pas cher, autant moi qu’une aute [1]. JEUNE HOMME, VOUS VIEILLISSEZ et vous ne RELISEZ PAS ASSEZ RACINE [2]. AH ! SI JE N’ÉTAIS PAS TROMPETTEb [3] ! Enfin, mais un vertueux père est un don précieux qu’on ne reçoit qu’une fois de la bonté des dieux [4]. C’est ce qui fait que quand on n’a pasc beaucoup d’argent votre fortune est faite [5], etc.
J’ai renvoyé Claire ce matin. La bonne n’est pas encore revenue. Je suis donc seule, abandonnée à toutes les tentations. Et Dieu sait que la plus forte, celle à laquelle je livre un combat corps à corps, c’est celle d’aller vous tirer par les pieds et les oreilles dans votre taudis. Jour je t’aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16331, f. 23-24
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) Le mot est souligné deux fois.
b) Le mot, écrit en très grosses lettres, occupe à lui seul toute la ligne.
c) « on a pas ».
7 juillet [1837], vendredi soir, 7 h. ½
Tu ne veux pas que je sois triste et inquiète de l’avenir, mon cher bien-aimé. Je ferai tout mon possible pour t’obéir, mais je ne peux pas m’empêcher de penser quel fardeau je suis pour toi [et ?] comment le meilleur de notre amour s’en va, le tien dans un travail sans relâche, le mien dans l’isolement le plus difficile à supporter car je t’aime passionnément. Tu veux que je sois gaie parce que tu es bon et généreux, parce que tu sais oublier ton dévouement de tous les instants. Mais moi je m’en souviens toujours. Je suis triste et découragée quelquefoisa parce qu’il me semble que tu finiras par y laisser ta santé ou ton amour, deux choses sans lesquelles je ne peux pas vivre. Voilà, mon cher bien-aimé, pourquoi je souffre de chacun des retards apportés à l’érectionb de ce théâtre où j’espère me fourrer et gagner ma vie honnêtement [6]. Mais je t’aime tant et je suis si touchée de voir que tu t’inquiètes de mes tristeries que je veux être GEAIE rien que pour te remercier de ta bonté ineffable. Jour mon petit o. Voyez un peu cette exécrable plume comme elle arrange mon style. On croirait que je ne sais pas ÉCRIRE et pourtant… Mais la modestie sied bien au talent et la passion à l’amour. C’est pourquoi je vous baise de toutes mes forces.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16331, f. 25-26
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « quelques fois ».
b) « l’herection ».