Paris, 20 mars [18]79, jeudi matin, 7 h.
Cher bien-aimé, je cherche ce que j’ai de moins endolori en moi ce matin pour te le donner : c’est le cœur avec l’amour ineffable pour toi dont il est plein. Prends-le jusqu’à épuisement total, c’est-à-dire pour l’éternité. J’ai beaucoup, beaucoup, beaucoup souffert toute la nuit et je souffre encore comme une damnée, heureusement que dans cette partie du corps il n’y a aucun danger immédiat pour la vie mais c’est payer un peu cher quelques jours de vieille existence inutile. Autre guitare, il paraît que je ne pourrai pas t’accompagner aux répétitions de Ruy Blas [1] et je m’y résigne tant bien que mal, faisant de nécessité vertu, ce dont il ne faut pas m’avoir la moindre obligation. Peut-être utiliserai-je ce temps à faire les achats urgents et nombreux qu’il y a à faire pour les besoins de la maison et pour moi. J’ai bien regretté hier soir de ne pouvoir pas assister comme troisième auditeur à l’essai des répétitions de Mounet-Sully [2] mais ma grandeur me retenait au salon où de nombreux visiteurs se succédaient pendant que vous dramatisiez dans ma chambre en plein Ruy Blas. Enfin, pourvu que vous soyez tous contents : auteur, acteur et spectateur de cet essai de répétitions, tout est bien et je vous en félicite tous dans ta personne admirée, vénérée et adorée.
[Adresse :]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF, 16400, f. 78
Transcription de Chantal Brière