28 juin [1837], mercredi matin, 9 h. ¾
J’aurais bien dû cette nuit te laisser oublier tes lettres [1]. Quelle étrange contradiction. Je souffre et je m’inquiète de tes pauvres chers yeux presque autant et peut-être plus que toi-même, et voilà qu’au moment de leur épargner une fatigue et une douleur, je m’empresse avec une vivacité sans pareille à leur faire du mal. Au reste, toutes mes actions sont comme cela. Je te plains, j’ai le cœur rempli d’amour et de sollicitude, et aussitôt que tu arrives, c’est moi qui me plains, et c’est moi qui reproche, et je te fais un supplice de mon amour qui devrait être le bonheur et le repos de ta vie. Cela tient à ce que je t’aime trop. Tu peux m’en croire, car il n’y a pas une seule parole amère de moi qui, si tu en pouvais voir le véritable sens dans mon cœur, ne serait de l’amour le plus ardent et le plus pur. J’espère encore mon cher bien-aimé que tu auras écouté la prière que je te faisais, et si sincèrement, de ne pas lire toutes ces lettres cette nuit. Elles peuvent bien attendre que tu aies les yeux guéris. [Je] t’attends bien, moi, qui ne suis cependant pas une méchante feuille de papier de deux liards, et qui ai autre chose dans l’âme que d’affreusesa pattes de mouches. J’attends. Bonjour mon cher adoré, je vous aime. Oui je t’aime. Ne me dis jamais que tu en doutes, parce que tu m’ – exaspères. J’ai envoyé ce matin les deux volumes à ces dames. Mme Franque m’a écrit pour me remercier. J’ai décacheté bien vite la lettre. Ai-je bien fait, mon maître ?
Jour je vous aime. Je t’aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16330, f. 345-346
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « afreuses ».