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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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22 juin 1837

22 juin [1837], jeudi matin, 9 h.

Mon cher petit homme bien aimé, comment allez-vous ce matin, comment vont vos chers petits yeux ? Je suis toute gonflée de sommeil ce matin. Je dors trop et toi pas assez, ce qui nous fait du mal à l’un et l’autre. J’ai fait des rêves si vilains que j’en suis encore toute triste. Nuit et jour il sera dit que vous me ferez du chagrin. Cependant je vous aime de toute mon âme et je vous suis bien dévouée et bien fidèle, toutes qualités qui font qu’on doit être bien heureux dans une position comme la vôtre. MADOUE [1] !… je ne veux pas me plaindre trop haut ce matin parce que je sais que dans ce moment-ci ce n’est pas votre faute si vous me tourmentez. Jour mon petit homme chéri, jour. Je t’aime. Si tu savais comme c’est bien vrai. Moi-même mon pauvre bien-aimé je découvre tous les jours des trésors d’amour que je ne connaissais pas. Je t’aime, va.
Je sais que tu es encore plus occupé ces derniers jours que les autres et quoique j’aie très besoin de sortir et que la tête me fasse moins mal, je ne te demanderai pas à sortir et je serai très douce et très patiente. Je t’attendrai avec l’amour dans les yeux et le sourire sur les lèvres. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16330, f. 321-322
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein


22 juin [1837], jeudi soir, 8 h.

Je vous ai donc vu un tout petit moment mon cher bien-aimé, et mon pauvre cœur s’est un peu desserréa à votre vue. Cependant vous vous êtes assez moqué de moi et de ma g{e}ule et de ma boneb geule, ce qui prouve que vous ne m’aimez presque pas, car si vous m’aimiez, vous trouveriez que j’écris comme un ACADÉMICIEN [2]. Vous êtes donc témoin que vous ne m’aimez pas. Vous m’avez apporté une bien gentille petite boîte, mais j’aurais mieux aimé un quart d’heure de plus avec vous et une boîte de moins sur ma cheminée. Que voulez-vous, j’ai un mauvais caractère, ce n’est pas ma faute. Je vais écrire ce soir à Mme Krafft afin que vous voyiez la lettre. Vous savez que je ne compte pas du tout sur votre promesse et bien m’en prend, car si j’avais la bonhomie d’y croire, j’aurais le temps de me faire du mauvais sang d’ici à minuit. Je vous aime malgré cela et à travers vos deux lanternes d’omnibus [3]. Le gribouillis que vous voyez au-dessus vient d’être fait au milieu d’un affreux cri d’effroi causé par ma table boiteuse qui s’est laissé choir sans m’avertirc. Si vous aviez été là, vous n’auriez pas manqué de vous moquer encore de votre pauvre Jujulina.

BnF, Mss, NAF 16330, f. 323-324
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « déserré »
b) La faute est délibérée.
c) Effectivement, les mots « lanternes d’omnibus » présentent une graphie instable.

Notes

[1« Ma Doué ! » : « Mon Dieu ! », en anciennes langues celtiques et armoricaines.

[2Juliette fait référence à sa lettre du 20 juin au soir, où le mot « Geule » apparaît. Victor Hugo lui a vraisemblablement fait quelques commentaires sur le passage en question.

[3Les lanternes d’omnibus étaient rondes, ce qui a donné lieu, au XIXe siècle, à des comparaisons à la forme des yeux. Juliette utilise l’expression par métaphore.

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