17 mai 1858

Guernesey, 17 mai 1858, lundi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour, mon amour béni vénéré et adoré, bonjour. J’espère que tu as passé une bonne nuit quoique ta fenêtre soit encore close et que je n’aie pas encore vu ta silhouette aller et venir à travers les vitres. Moi je suis levée depuis une heure, ce qui n’est pas très matinal, et je me hâte de faire mes affaires pour pouvoir commencer à copier aujourd’hui quoique je n’espère pas en faire beaucoup à cause des petits embarras et des encombrements de mes petits préparatifs de fête. Et à ce sujet, je te dirai que je regrette presque cette fidélité à des traditions d’un autre temps, d’un autre pays et d’autres gens en voyant le mauvais goût si choquant de ce pauvre Préveraud, qui ne s’en doute pas du reste, et qui se croit très drôle et très amusant, sans compter les airs de superbe ennui et de maussade impertinente du gros Quesnard, tout cela me fait regretter de dépenser notre argent et notre temps, à faire mâcher à des indifférents un bonheur dont nous n’aurions pas de trop à croquer pour nous tout seuls. L’année prochaine, je garderai ma fête pour toi et pour moi et je supprimerai tous les ennuyeux qui nuisent à L’ACTION, en attendant, il faut que nous en passions par eux encore cette fois-ci et surtout que nous nous en aimions que mieux et que nous n’en soyons pas moins heureux si c’est possible.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 107
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette