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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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11 janvier [1845], samedi soir, 6 h.

Tu sais par cœur tout mon amour, mon Toto, je n’ai donc rien à t’apprendre, et, n’était la joie que j’éprouve à te gribouiller des tendresses, à défaut de tes baisers, mes gribouillages seraient parfaitement inutiles. Pauvre bien-aimé adoré, tu es plus que jamais enfoncé dans ton travail et je ne dois pas espérer te voir à moins que tu ne te trouves assez avancé pour venir me voir en sortant de chez le Duc de Nemours. Mais je n’ose pas y compter. Je ne sais pas, du reste, comment je ferai pour ne pas te voir ce soir. J’ai tant de caresses, tant de baisers et tant d’amour rentrés qu’il me semble toujours que cela doit me tuer comme un coup de pistolet. Si cela arrive, je ne veux pas qu’on le mette sur le compte d’aucune apoplexie foudroyante ou du moins cela m’est égal pour ce qui regarde la science. Mais je veux que tu saches ceci, mon adoré, que c’est de t’avoir trop aimé. Tu es prévenu.
Une chose dont tu ne l’es pas et qui te contrariera bien sûrement autant que moi, c’est le malentendu qu’il y a entre le propriétaire nouveau et moi ou plutôt entre moi et sa portière. Si tu n’avais pas été aussi pressé, je t’aurais raconté cela tantôt. Voici le malentendu : les deux tonneaux du jardin sont à la charge du locataire et ne peuvent être placés qu’aux deux endroits où se dégorgent les eaux pluviales de la maison. Ceux qui y étaient étant pourris, on ne me les a pas proposésa à acheter et le locataire les a enlevés ces jours-ci. Voilà encore une nouvelle dépense sur laquelle nous ne comptions pas. Pas moyen, du reste, de n’en mettre qu’un, tonneau, sous peine de faire inonder et ravager le jardin par des torrents les jours d’orage ou de pluie. Cela m’a excessivement contrariée, mais qu’y faire ? Nous avons mis peut-être trop de précipitation et de confiance ou moi-même beaucoup de maladresse et d’ignorance. Mais enfin, la chose est ainsi et il faudra nous exécuter. Pourvu encore que cela ne coûte pas plus de dix ou douze francs. Enfin nous verrons cela avec le jardinier. Je voudrais bien, par exemple, que ce soit une fois dite pour toute et qu’il n’y eût pas d’autre mésaventureb de ce genre.
Mon Toto adoré, j’en suis réduite à t’écrire mes ennuis ayant à peine le temps de te voir. Encore si j’avais celui de t’embrasser autant que je le voudrais, je ne me plaindrais pas, mais je suis forcée de ne t’embrasser qu’avec le bec de ma plume, ce qui n’est rien moins que régalant.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16358, f. 37-38
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « proposé ».
b) « d’autres mésaventure ».

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