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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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19 décembre [1848], mardi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon Toto, bonjour, mon beau bien-aimé, bonjour, je te baise depuis ici jusqu’où tu es. Comment vas-tu mon cher petit soulard ? Vous voyez bien que vous trouvez le temps de vous promener à droite et à gauche quand vous voulez, et quand vous me refusez à moi une pauvre petite culotte. C’est bien mauvaise volonté de votre part. Je ne veux pas m’enfoncer dans ce chapitre parce que je n’en sortirais pas. J’aime mieux fermer mes yeux que les ouvrir sur cette chose triste. Maintenant que je ne regarde plus de ce côté-là, je peux vous dire que je vous aime comme mon beau et bon amant que vous êtes. Baisez-moi. Je suis de l’avis de Charlot pour tout ce qui te touche mais il ne faut pas qu’il soit si féroce avec cette canaille de Nationala. Des coups de bec... de plume tant qu’il voudra mais pas de coups d’épée [1]. Rien ne me tourmente plus que cette surabondance de courage qui va jusqu’à la provocation. Mais je te parle là de choses qui ne me regardent pas au point de vue de la politique et de la bravoure, mais qui intéressent beaucoup mon cœur à cause du chagrin affreux que tu aurais s’il arrivait la moindre chose à ce beau garçon si digne de t’appartenir. C’est ce qui me fait désirer de toutes mes forces qu’il ne se commette pas avec tous ces misérables porte-plumes dont l’âme est aussi basseb que leur esprit est petit.
Quelle drôle de lettre je t’écris là, mon adoré, ce qui n’empêche pas que je ne t’aime à deux genoux.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16366, f. 379-380
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette
[Blewer]

a) « national ».
b) « basses ».


19 décembre [1848], mardi midi ½

Je n’ai pas de nouvelles à t’apprendre, mon Toto, sinon que je t’aime à perte de vue et que je te désire à outrance. Il me semble que tu dois avoir bientôt un billet à me donner pour l’Assemblée nationale ? Maintenant que je suis installée et toi aussi, ou à peu près, il faut me donner tous les moyens possibles de te voir le plus souvent et le plus longtemps que je pourrai [2]. Celui-ci en est un tout trouvé et pour lequel il ne faut de ta part ni temps ni argent, il ne faut qu’un peu de mémoire et de bonne volonté. Tâchez donc d’en avoir très prochainement, s’il vous plaît, et même s’il ne vous plaît pas.
Vous savez que je suis toute blanche de lessive. Je ne vous dis que cela. Si vous n’avez pas l’oreille trop dure vous entendrez très bien ce que parler veut dire. Malheureusement je crois que vous avez perdu l’OUÏE depuis longtemps et c’est pour cela que vous me dites toujours NON, ah ! Nom d’un nom, petit bonhomme que vous êtes, ça n’est pas très glorieux ce que vous faites, ou plutôt ce que vous ne faites pas. À votre place j’en rougirais jusque dans les profondeurs de mon caleçon réactionnaire. Mais vous n’avez pas de cœur et rien ne peut vous faire changer de couleur, pas même les reproches humiliants et trop fondés de votre pauvre mystifiée Juju.

BnF, Mss, NAF 16366, f. 381-382
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

Notes

[1En octobre 1848, après avoir écrit un article attaquant le journal Le National, Charles Hugo avait failli se battre en duel avec le rédacteur en chef du journal modéré, Léopold Duras. Le 16 décembre, L’Événement publie à sa une un article provocant et non signé, qui pourrait être du fils de Victor Hugo. Juliette Drouet craint un nouveau conflit entre les deux hommes.

[2Le 15 octobre, la famille Hugo a emménagé au 37, rue de la Tour-d’Auvergne. Juliette Drouet, quant à elle, s’est installée au cours du mois de novembre à la cité Rodier.

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