Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1848 > Mai > 16

16 mai 1848

16 mai [1848], mardi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon doux adoré, bonjour, mon Toto bien aimé, bonjour je t’aime. Tout paraît bien calme et bien tranquille. Il est vrai qu’hier on ne se serait pas douté dans ma paisible rue dorée qu’on renversait le gouvernement encore une fois [1]. Grâce au ciel cela n’a pas eu de suites graves et j’espère que cela n’en aura pas. Ma POLITIQUE ne va pas beaucoup plus loin. Je m’apprête à aller t’accompagner jusqu’à l’Académie. Il y a longtemps que je ne suis sortie et cela me fera du bien de gigotera avec vous. Aussi attendez-vous à me traîner avec vous à travers le fer, le feu….. éteint, des batailles sur les quais dans les rues et partout où il vous plaira d’aller. Je veux aller avec vous c’est une idée que j’ai comme cela. Ou bien je ne vous donnerai pas 3 francs. Voyez ce que vous aimez mieux. Trois francs avec une Juju… ou rien de rien. Vous savez que je suis une des ORATRICES du club des femmes [2]. Prenez garde à qui vous adresserez vos admirations TACTILES. Je ne vous dis que ça. Maintenant donnez-moi vos cinquante centimes et je vous donnerai une entrée de FAVEUR. Ou bien baisez-moi pour la valeur de la somme j’y consens.

Juliette

MVH, 8084
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux

a) « gigotter ».


16 mai [1848], mardi midi

Je suis sous les armes mon Toto, je t’attends mèche allumée et casque en tête. J’espère que tu n’auras pas le toupet de t’en aller sans moi ? D’abord je ne sais pas ce que je te ferais si tu avais ce malheur-là. Dans ce moment-ci il y a à ma porte une espèce d’émotion. Les commères prétendent qu’on bat le rappel. Moi je crois qu’elles battent la breloque et pour peu que vous tardiez encore longtemps je battrai moi-même la campagne. Avec cela le temps est à l’orage et ma tête aussi. Il me semble que je suis dans une fournaise. Je ne serai tranquille que lorsque je serai avec toi. Il n’y a pas pour moi de meilleure sécurité. Dès que je te vois je n’ai plus peur. C’est pour cela que je veux aller te conduire à l’Institut. Et puis je t’attendrai et je te ramènerai. En attendant je suis rouge et je m’impatiente le plus que je peux. Décidément le régime émeutes ne mea va pas. J’aime mieux le système culotte et les mœurs matelotesb à l’ombre des marronniersc [3] ou autre végétal de même métal. En fait d’écrabouillage, j’aime mieux l’amour.

Juliette

MVH, 8085
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux

a) « m’a ».
b) « matelottes ».
c) « maronniers ».

Notes

[1Mécontents de constater l’immobilisme du ministère des Affaires étrangères face à la détresse des Polonais – écrasés par les forces prussiennes et autrichiennes –, les démocrates-socialiste organisent une grande manifestation le 15 mai 1848. Ils envahissent l’Assemblée constituante, où un nouveau gouvernement provisoire est proclamé dans la précipitation. Avec le soutien de la garde mobile, la chute du gouvernement est évitée, et les chefs de l’opposition, Blanqui, Barbès, Raspail et Albert sont arrêtés.

[2Lors de la Révolution de 1848, les clubs de femmes, visant à faire entendre leurs revendications sociales et leur volonté d’émancipation, se multiplient, tels le club fraternel des lingères, ou encore la Société de la voix des femmes créée par Eugénie Niboyet, fondatrice du journal La Voix des femmes.

[3Les Marronniers étaient un bon restaurant de Bercy, où Hugo et Juliette Drouet avaient leurs habitudes.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne