1er mars [1846], dimanche matin, 9 h. ¼
Bonjour Toto, bonjour mon cher petit Toto, bonjour ma vie, bonjour ma joie, bonjour mon âme, je te baise de toutes mes forces. Tu es bien gentil d’être venu hier deux fois et d’être resté un peu de temps avec ta pauvre Juju doublée de sa Clairette. Elle et moi nous t’en remercions du fond du cœur.
Comment as-tu passé la nuit, mon cher petit homme adoré ? As-tu bien dormi ? As-tu rêvé de moi ? Je voudrais bien savoir toutes ces choses-là et bien d’autres encore. Je vous attends ce matin avec toutes sortes de curiosité et de tendresse, dépêchez-vous de venir s’il vous plaît et s’il ne vous plaît. Venez tout de même, je n’y regarderai pas de si près. Pourvu que je vous voie je mets toute susceptibilité et toute délicatesse de côté. J’ai reconnu que tout cela était parfaitement inutile quand ça n’était pas nuisible. Vous voyez que je suis dans la bonne voie et que je me forme petit à petit. Voime, voime ne vous y fiez pas trop cependant, je vous le conseille à moins que vous ne vouliez faire connaissance intime avec mon Eustache [1]. Claire vient de retrouver ses deux pères de l’Église [2] et moi je désire ardemment qu’elle trouve un succès demain. Mais je ne veux pas y aller dans la crainte de lui porter malheur. D’ailleurs tu as vu qu’elle le redoute autant que moi et qu’elle aime mieux que je n’assiste pas à cette dernière épreuve. À demain donc et bonne chance, à tantôt pour te voir et à toujours pour t’aimer.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16362, f. 213-214
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette
1er mars [1846], dimanche soir, 11 h.
J’espère que je vous écris à des heures indues, mais c’est encore trop tôt car je trouve que vous ne méritez pas que je ne vous écrive du tout. Comment, vilain scélérat, vous avez saisi je ne sais quel prétexte absurde pour vous en aller et puis vous n’êtes plus revenu. Vraiment je ne sais qui me tient de vous agonir de sottises. Je suis furieuse, je suis enragée, je voudrais vous tirer le nez et vous mordre et bien pis que ça encore si je pouvais. Si vous ne vous dépêchez pas de venir je vais envoyer coucher ma péronnelle parce que je ne veux pas qu’elle soit fatiguée et énervée demain. Jusqu’à présent je fais bonne contenance mais cependant je ferai un gros OUF demain si elle réussit. D’ici là je voudrais passer toutes mes inquiétudes, toute ma colère, toute ma haine et toute ma vengeance sur vous. Je sens que cela me soulagerait et que je ne m’en porterais que mieux quoique ma santé puisse défrayer deux ou trois douzaines de malades ou de bien portants. AD LIBITUM ! Hein ! Que dites-vous de ce latin ? Il me paraît un peu CHOUETTE et j’ai bien envie de le porter au cuistre Poirson [3] pour l’humilier dans sa savantasserie. En voilà encore un à qui j’aurai du bonheur à lui vider des amphores crépusculaires, comme vous appelez ça [dessina] avec ou sans cédille au choix de l’amateur. Si Toto deuxième du nom [4] veut se réunir à moi, nous lui donnerons un NOCTURNE de notre composition. Quant à vous je vous méprise comme vous le méritez.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16362, f. 215-216
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette
a) Dessin d’un pot de chambre :
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