8 octobre 1878

Guernesey, 8 oct[obre 18]78, mardi matin, 10 h.

Cher bien-aimé, je t’avais écrit ce matin dès l’aube mais je me suis hâtée de déchirer ma lettre que je trouvais injuste et prématurément désespérée. Ce n’est pas quand tu parais sincèrement convaincu de la nécessité dans l’intérêt de ta santé et de ta gloire, de rompre avec un odieux et redoutable passé, que je peux me laisser aller au découragement. Je dois au contraire commander toute confiance à mon cœur et à mon âme afin de forcer ton amour à suivre le mien honnêtement et fidèlement pendant le court trajet qu’il nous reste encore à faire pour arriver à l’éternité. J’espère que la tâche ne te sera pas impossible. En attendant je raffermis mon courage en redoublant d’amour. Le départ de notre cher Paul Meur[ice], quoique prévu depuis deux jours, m’attriste profondément comme si je ne devais plus le revoir.
[une ligne de pointillés [1]]
Allons voilà que je redeviens folle comme ce matin. Pardonne-moi, mon bien-aimé et plains-moi d’être ainsi. Souris-moi et pardonne-moi. Aime-moi et bénis-moi comme je te pardonne, comme je t’aime et comme je te bénis saintement devant Dieu auquel je crois.

Monsieur
Victor Hugo
Hauteville House

MV-MVH, Villequier, Inv. 1973.5.2 (44)
Transcription de Marie-Jean Mazurier
[Massin]