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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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10 novembre [1847], mercredi matin, 9 h.

Bonjour, aimé, bonjour adoré, bonjour. Je ne veux pas partir sans t’avoir dit un petit bonjour d’amour et sans t’avoir baisé sur les deux joues et beaucoup ailleurs. Je serai en retard mais ma foi tant pire [1], Mme Guérard attendra. D’abord j’ai voulu faire ton eau [2] dans le cas où tu viendrais. Ce sont de doux et ravissants petits devoirs que je ne saurais oublier parce que j’ai trop de bonheur à les faire.
C’est aujourd’hui enfin que je prends ma volée. J’espère que j’aurai assez de mon boursicot [3], cependant il ne faudrait pas t’étonner si j’ai recours à ta générosité car j’ai bien des BESOINS et mon magot est bien petit. Enfin je ferai de mon mieux pour me contenter et pour te satisfaire, je ne peux pas dire mieux. D’ailleurs s’il faut redévaliser un autre coche je m’en charge, mes moyens me le permettent encore une autre fois. Après je ferai suer les chênes [4] sur le grand trimard [5]. En attendant je me permets de m’en tenir à des moyens plus doux mais moins pittoresques, et je vous adore.

Juliette

MVH, α 7998
Transcription de Nicole Savy


10 novembre [1847], mercredi après-midi, 4 h. ½

Il paraît que tu es venu peu de temps après moi, mon doux aimé, et que tu es resté assez de temps pour me donner beaucoup de regret de ne m’être pas trouvéea chez moi dans ce moment-là. Cependant tu étais prévenu que j’irais chez Gogelin [6]. Il est vrai que ton travail ne se prête pas à ce genre de combinaison. Aussi je ne m’étonne pas que tu sois venu, sachant bien que je ne serais pas chez moi, mais je le regrette de toutes mes forces. J’espère que tu ne tarderas pas à venir maintenant, à moins que tu n’aies l’intention de me rendre cette journée deux fois désagréable. Cher adoré, je ne veux pas que le désir extrême que j’ai de te voir tourne à l’amertume, et je me hâte de te dire que je sais que tu travailles et que ton temps et tes pensées appartiennent à ce travail. Je le sais et je m’y résigne tant bien que mal.
Je te dirai que j’ai fait mes emplettes. Je désire qu’elles te plaisent et que tu ne me grognes pas. J’ai fait pour le mieux. Il faudra que je retourne samedi matin pour essayer le mantelet parce qu’il n’y en avait pas à ma taille [7]. Mais j’irai tout à fait le matin à 8 h., et je serai revenue pour quand tu seras là.
Je t’aime.

Juliette

MVH, α 7999
Transcription de Nicole Savy

a) « trouvé ».

Notes

[1Tant pis (argot).

[2Il s’agit du mélange qu’elle prépare pour baigner le yeux de Victor, qui a depuis longtemps une fragilité ophtalmique.

[3Boursicot : petite somme économisée.

[4Faire suer un chêne : égorger un homme (argot).

[5Le trimard : le chemin (argot).

[6À élucider. D’après la suite de la lettre, ce pourrait être le tailleur de Juliette.

[7Mention intéressante de la modernisation du commerce : le prêt-à-porter est apparu dans les magasins de nouveauté. Les spécialisations du drapier, du mercier et du tailleur se concentrent en une seule boutique. Bientôt apparaîtront les grands magasins.

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