3 novembre [1847], mercredi matin, 8 h. ½
Bonjour, mon cher petit bien-aimé, bonjour, mon féroce taquin, bonjour. Je vous défends de me taquiner encore au sujet de mes dessins parce que je n’entends pas la plaisanterie là-dessus. Chacun garde qu’est-ce qu’il a et je garde jour et nuit ce que j’ai eu tant de peine à obtenir de votre GÉNÉROSITÉ. Tenez-vous le pour dit et ne me tourmentez plus ou je vous griffe. Je n’ai pas besoin de vous servir de JOUJOUXa, surtout quand cela me fait du mal. Cher petit homme, je serai aussi plate que vous voudrez pour que vous ne me fassiez pas de méchanceté. Je pensais qu’il serait peut-être utile d’écrire à M. Pradier [1] pour le stimuler un peu, ce dont il a grand besoin, et je trouvais que la triste fête [2] d’hier était un prétexte tout trouvé pour lui écrire. Mais puisque tu ne le crois pas, je renonce à ce projet et j’attendrai qu’il veuille bien se souvenir de lui-même de sa promesse. Je crains bien d’attendre longtemps. Enfin je ne saurais mieux faire que de suivre tes bons conseils, et c’est à quoi je m’applique de mon mieux depuis près de quinze ans. Mon Victor bien-aimé, mon adoré, mon Toto, mon tout, je t’aime et je mets toute ma vie et toutes mes pensées en toi.
Juliette
Yale
Transcription de Gérard Pouchain
[Barnett et Pouchain]
a) « joujous ».
3 novembre [1847], mercredi midi
Les jours se suivent etc. etc. Il fait un froid de chien aujourd’hui, hier il faisait un soleil charmant. Il n’y a de fixe et d’immuable que le cœur de votre pauvre vieille Juju qui est à l’amour incandescent depuis le premier moment où elle vous a vu. Ce qui ne l’empêche pas pourtant de souffler dans ses doigts et de trembler comme une vieille mendiante à la porte d’une église. Je compte me réchauffer en travaillant tout à l’heure. Seulement je suis inquiète de savoir comment vous résoudrez la difficulté de me faire écrire à côté de vous car vous tenez toute la table à vous seul, et moi, il me faut beaucoup de place pour mon papier et pour le manuscrit. D’un autre côté si je ne copie pas le soir, je n’avancerai [pas] et je serai en retard, et surtout j’attendrai trop longtemps pour savoir le sort de la pauvre petite Cosette, du père Madeleine et du vieux Fauche-le-vent. Ce qui ne ferait pas le compte de ma curiosité, tant s’en faut. Il n’y a que mon atroce probité qui puisse me retenir d’aller chercher la suite de l’histoire dans votre fameux buvard [3]. Mais ne craignez rien, je vous assure qu’elle tiendra bon jusqu’au bout, la scélérate, dût-elle me laisser crever de curiosité.
Juliette
Archives et Musée de la littérature, Bibliothèque royale Albert 1er, Bruxelles
ML 2145/1
Transcription de Nicole Savy