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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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7 août 1847

7 août [1847], samedi matin, 7 h. ¼

Bonjour, mon Victor, bonjour, tu m’as tenu parole, tu n’es pas venu ni avant ni après cette représentation. Je n’ai rien à dire à cela sinon que je t’aime. Le reste ne dépend ni de toi ni de moi. Je devrais m’arrêter ici pour rester dans mon courage et dans ma fermeté qui n’ont pas plus d’épaisseur qu’une ligne de mon gribouillis. Au-dessous il y a un cœur qui souffre et une pauvre Juju qui est triste. Mais à quoi bon te le laisser voir ? Cela n’a pas le mérite de la nouveauté pour toi et cela t’ennuie plus que cela ne t’émeut. Donc je ferais mieux de rentrer mes cornes et mon amour, et te laisser me faire du mal tranquillement et à ton aise. Il y en aurait toujours un de nous deux parfaitement heureux ce qui, par le temps qui court, n’est pas positivement à dédaigner.
Je ne sais pas ce que tu feras pour la Chambre tantôt, mais dans tous les cas n’oublie pas que nous ne sommes convenus de rien hier et que je ne t’ai pas vu depuis vingt-quatre heures. Si je sors aujourd’hui pour aller au-devant de toi j’irai en même temps changer ce papier, rien n’est plus ridicule que ce toutou portant un poulet dans sa gueule, si ce n’est l’ingénieuse devise qui l’accompagne.
Vous êtes cause que j’ai perdu six sous de fraises sans profit pour personne. Il est vrai que vous vous êtes rafraîchia avec la littérature de Paul [1]. Elle est assez laxative et assez émollienteb pour cela. Seulement vous auriez pu m’en prévenir plus tôt et je n’aurais pas achetéc de fraises. Ce que j’en dis c’est dans votre intérêt et non pour déprécier la littérature curative du célèbre Paul. Il ne faudrait rien moins QU’ANNULERd ses succès pour cela et je n’ai pas cette témérité.

Juliette

MVH, α 7960
Transcription de Nicole Savy

a) « raffraîchi ».
b) « émoliente ».
c) « acheter ».
d) « anuler ».


7 août [1847], samedi après-midi, 1 h.

Si tu m’aimes, mon Toto, et si tu penses à moi, si tu me plains et si tu me regrettes, je n’ai pas le droit de grogner et je suis la plus heureuse des Juju, quoique séparée de toi. Mais si, comme je le crains, tu m’oublies et tu ne m’aimes plus, j’ai le droit d’être la plus malheureuse des femmes et je suis toute prête à en user car j’ai des larmes plein mes yeux et de la tristesse plein mon cœur. Toi seul peux changer ces douloureuses dispositions en joie et en bonheur. Mais pour cela il faut que tu viennes et que tu me dises de ces bonnes tendresses persuasives qui viennent du cœur et qui vont au cœur.
Je sais que tu travailles, mon adoré, et je ne veux pas te tourmenter. Aussi je m’en rapporterai à ton regard et à un seul de tes baisers pour me tranquilliser l’âme. Mais encore faut-il me l’apporter. Quels que soienta mon courage et ma confiance en toi, ils ne peuvent pas pourtant suppléerb à eux tous seuls à ta présence et à ton amour. Tu comprends bien cela, n’est-ce pas mon adoré ? Je t’attends et je t’espère, je te désire et je t’aime, très décidée d’avance à mettre à profit la moindre parcelle de bonheur que tu pourras me donner. D’ici là, je vais et je viens dans ma maison avec cette préoccupationc inquiète et impatiente qu’on éprouve quand on attend son bien-aimé Toto. Je t’adore.

Juliette

MVH, α 7961
Transcription de Nicole Savy

a) « quelque soit ».
b) « supléer ».
c) « préocupation ».

Notes

[1La veille, Hugo a assisté à la première de Léa ou la sœur du soldat, de Joseph Bouchardy et Paul Foucher (musique de Bréancourt) au Théâtre de la Gaîté. [Remerciements à Gwenaëlle Sifferlen].

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