Guernesey, 10 août 1856, dimanche après-midi, 3 h. ¾
Je ne suis pas allée chez les Préveraud, mon cher petit homme, et je ne crois pas que je trouve le courage d’y aller tant que cette température d’étuve m’accablera comme elle l’a fait jusqu’à présent. Quant à toi, mon cher petit lézard doublé de salamandre, tu ne peux pas invoquer ce prétexte pour rester chez toi, aussi je t’attends toute mon âme dehors. J’espère que tu vas bien tout à fait aujourd’hui et que tu pourras reprendre tes bains si malencontreusement interrompus par ce verre de lait hors de propos. C’est aujourd’hui la fête de ma pauvre Claire [1] et depuis ce matin, j’ai dépouillé tout le jardin de cette bonne Mlle Le Boutillier de ses fleurs blanches pour mettre devant les portraits de cette chère absente. Si, comme tu le crois, ces chères âmes envolées errent autour de nous entre le ciel et la terre, elles doivent essayer de se rapprocher de nous sous les formes qui nous plaisent le plus et c’est peut-être leur haleine que nous respirons dans le parfum des fleurs. Mes lèvres ne s’approchent jamais d’une rose blanche sans croire sentir les baisers de mon enfant et souvent, il me semble que le doux oiseau qui passe près de moi me dit en volant ces deux syllabes saintes : mère. J’ai aussi ma petite métempsycose, comme tu vois [2] ; te voilà, mon cher adoré, te voilà, je te bénis, je suis heureuse. Je t’adore.
Juliette
Bnf, Mss, NAF 16377, f. 212
Transcription de Mélanie Leclère, assistée de Florence Naugrette