Guernesey, 27 juillet 1856, dimanche après-midi, 2 h.
Je t’aime, mon petit Toto, ça n’est pas nouveau mais c’est toujours consolant pour moi car ma vie et mon amour, c’est tout un et le jour où je ne pourrais plus t’aimer, je ne pourrais plus vivre. Aussi, quel bonheur quand nous serons tout à fait voisins et que nous lucooterons [1] depuis le matin jusqu’au soir ! D’y penser, l’eau m’en vient à la bouche. Mais d’ici là, ce n’est pas une raison pour me faire tirer la langue jusqu’à la cheville pour vous voir quelques pauvres minutes dans la journée. Aujourd’hui, par exemple, vous n’avez aucun bain sur le tapis, aucune Mme Colet, aucun Mauger [2] qui vous empêche de venir de bonne heure, donc si vous ne venez pas, c’est que vous ne le voudrez pas, c’est clair. Du reste, il fait un temps de demoiselle et de promenade, ni soleil et ni vent, mais vous n’en profiterez pas, c’est sûr, et j’en fais d’avance mon deuil pour ne pas vous grogner. Après je vous verrai. En attendant, je me remets à vous aimer d’arrache-cœur, c’est encore la meilleure manière de passer mon temps et de tromper mon impatience. Tâchez de votre côté de penser à moi et d’éprouver un peu le besoin de me donner un peu de joie, cela ne vous coûtera rien et cela me rendra bien heureuse.
Juliette.
Bnf, Mss, NAF 16377, f. 202
Transcription de Mélanie Leclère, assistée de Florence Naugrette