6 décembre 1870

Paris, 6 déc[embre] 1870, mardi matin, 9 h. ½

Bonjour, mon cher bien-aimé. Ce mot si banal pour tout le monde, bonjour, quand je te l’adresse contient tout mon cœur et toute mon âme. Tout est bien qui finit^a bien, dit le proverbe. Puisse cet axiome devenir pour cette affreuse guerre et pour nous une réalité consolante. En attendant le temps est bien triste et l’hiver bien rude [1]. Jusqu’à présent je n’entends rien dire sur ce qui se passe ; peut-être parce qu’il ne se passe rien. Est-ce un bien, est-ce un mal ? Devine^b si tu peux et choisis si tu l’oses [2]. Tantôt je sortirai pour acheter ta couverture. Après avoir vu celles de gagne-petit de la rue des Moineaux, j’irai aux magasins du Louvre qui doivent être évidemment les mieux assortis de Paris. Dans le cas où le choix m’embarrasserait j’en référerais à toi afin que tu décides avec connaissance de cause ce qui te convient le mieux. Je serai très peu de temps absente car il fait un froid qui fait souffrir mon bobo un peu plus que de raison. Cependant je passe mon temps à le frictionner d’huile de camomille mais rien ne l’amadoue, au contraire. Enfin il faudra bien que lui ou moi nous en prenions notre parti d’une façon ou de l’autre. Pourvu que je t’adore, tout m’est égal.

MLVH Bièvres, 130-8-LAS-VH 4 a, b et c
Transcription de Gérard Pouchain

a) « fini ».
b) « devines ».