6 juin [1847], dimanche après-midi, 4 h ½
Je compte sur ta bonne promesse, mon doux adoré, et c’est avec elle que je me tiens compagnie et que j’attendrai avec courage jusqu’à ce soir. Je suis triste de te savoir tourmenté au sujet de tes banquiers. J’espère encore qu’ils résisteront à la crise [1] qui les secoue dans ce moment-ci, mais en attendant je voudrais prendre pour moi seule tous tes ennuis et toutes tes inquiétudes. Ça ne serait qu’une juste répartition pour moi qui ne suis utile à rien et qui te laisseraisa le loisir de faire tes chefs-d’œuvre [2] à tête reposée. Décidément le bon Dieu pionce dans quelque coin du ciel et il laisse la terre faire toutes sortes de stupidités pendant ce temps-là. J’ai bien envie de prendre mes jambes à mon cou et d’aller le réveiller un peu. Tu vois, mon pauvre adoré, que je te souris et que ma fatigue et ma longue indisposition s’effacent devant l’espoir de te voir. Merci, mon Victor, merci, mon adoré, je t’aime du fond du cœur.
Je pense que Joséphine viendra m’aider à manger mon bouillib froid et surtout m’allumer mon feu pour faire chauffer ma soupe. J’ai eu la précaution d’écrire à tous mes dimancheurs de ne pas venir parce que je prévoyais que les ouvriers n’auraient pas fini [3]. Bien m’en a pris à cause de cette pauvre Suzanne et de sa partie de plaisir. Je ne compte donc absolument que sur ma vieille Joséphine ; laquelle dans tous les cas s’en ira à huit heures et demie du soir. Du reste, je ne me suis pas ennuyéec et j’ai mis mon temps à profit. Rien ne me manquerait si tu étais là. Tu es ma joie, mon bonheur, mon univers et mon tout. Je t’adore.
Juliette
Harvard
[Barnett, Pouchain]
a) « laisserait ».
b) « bouillis ».
c) « ennuiée ».