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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 janvier [1839], vendredi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon cher petit bien-aimé, bonjour, mon adoré petit homme, bonjour. Je baise tes petites mains et tes chers petits pieds que je [cache  ?] dans ma poitrine pour les réchauffer. Tu vois que je suis matinale, mon adoré, et pourtant je continue à avoir mal à la tête. Si je n’étais pas dans une position absurde, j’aurais fait venir le médecin pour le consulter car mes maux de tête deviennent de véritables maladies. Voilà trois jours que je ne sais où me mettre. Mais c’est assez me plaindre, mon adoré, c’est toi qu’il faut plaindre, admirer et aimer car tout ce que tu fais est au-dessus des forces et de l’intelligence humainesa : travailler toutes les nuits et passer toutes tes journées à créer des chefs-d’œuvreb que toutes nos admirations ne sauraient atteindre même en les mettant les unes au bout des autres. Je t’aime d’en bas, du fond de l’ombre sans oser regarder à ta tête pour ne pas être éblouie et prise de vertiges [1]. Je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime. C’est par cet escalier d’amour que je monte jusqu’à ton cœur sans vouloir aller plus loin, car là c’est mon ambition, mon trône et mon ciel, c’est toutes les richesses et tous les bonheurs, enfin c’est ma vie. Donne-moi ta bouche divine que je la baise de toute mon âme. Je voudrais te voir tout de suite.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16337, f. 67-68
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Florence Naugrette

a) « humaine ».
b) « chefs-d’œuvres ».


18 janvier [1839], vendredi soir, 5 h. ¼

Voici la journée passée, mon cher petit homme, et vous n’êtes pas revenu. Il est probable même que vous ne reviendrez pas assez à temps pour me faire sortir et j’en prends mon parti (quant à la sortie, du moins) puisque c’est encore une preuve d’amour que je vous donne. J’ai vu Jourdain tout à l’heure à qui j’ai dit qu’on payerait son dernier mémoire le 6 du mois prochain sauf meilleur avis, puisque je ne t’avais pas encore consulté à ce sujet. Il faudra que je fasse refaire par Lanvin la vérification du chiffre en question et je le remettrai à Jourdain. En attendant, comme nous avons un reliquat de dette, [nous ne serons pas à découvert  ?] pour nous faire rendre gorge s’il y a lieu. Je t’aime mon Toto. Tu ne me fais pas sortir quand il fait beau et que je suis prête, mais je t’aime tout de même. Je crois même que je t’aime encore plus car tu me donnes un moyen de te prouver dans mon petit coin que je [sais  ?] t’aimer avec résignation, courage et dévouement. Papa est bien i. Quand venez-vous déjeuner avec moi et quand me donnez-vous à dîner au cabaret ? Toujours mêmes réponses aux mêmes demandes. Très bien, je comprends la machine et je ne vous en aime que plus fort. Vous êtes mon Toto.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16337, f. 69-70
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Le motif de l’humble amoureux, aimant dans l’ombre un astre, est repris de Ruy Blas  : le personnage éponyme, issu du peuple, se définit comme un « ver de terre amoureux d’une étoile » dans une lettre (II, 2) et déclare à la Reine à l’acte suivant (III, 3) : « Je vous aime de loin, d’en bas, du fond de l’ombre ; / Je n’oserais toucher le bout de votre doigt, / Et vous m’éblouissez comme un ange qu’on voit ! »

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