Guernesey, 13 avril [18]73, dimanche, 7 h. ¾ du m.
Comme toujours, hélas ! j’ai manqué ton entrée en scène mais je me suis rattrapéea sur le reste autant que je l’ai pu ; quoiqu’il m’ait singulièrement paru froid et écourté ce matin ; cela tient peut-être à la disposition d’esprit et de cœur où je suis en ce moment-ci ; il en est de l’amour comme de l’estomac, où on a plus d’appétit un jour que l’autre. Il faut bien le croire, autrement cela ne s’expliquerait pas. Donc, mon cher bien-aimé, je reste à l’état d’affamée tant que tu n’auras rien ajouté à ma portion par trop congrue aujourd’hui. Je finirais par faire, si tu n’y prends garde, le pendant du seigneur don Guritan qui reçoit un bonjour, un bonsoir, un mot bien sec et s’en va tout content cette pâture au bec [1], toute prosodie gardée, bien entendu. Cette diminution s’explique du reste quand on sait quelle part tu fais de ton cœur dans les régions mitoyennes de ta maison. Seulement il ne faut pas que cela aille, littéralement et moralement, jusqu’à ceci tuera cela [2] à moins que ce ne soit ton parti pris de choix, auquel cas je m’incline et même je m’efface.
BnF, Mss, NAF 16394, f. 100
Transcription de Maggy Lecomte assistée de Florence Naugrette
a) « rattrappée ».