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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 16 février 1856, samedi matin, 10 h.

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour mon vorace petit Toto qui absorbez indistinctement le fer et l’osier, mon amour et mes inepties sans en être autrement incommodé. Quant à moi, je suis toujours très honteuse de vous servir mon cœur à une sauce si fade et je donnerais tout au monde pour un peu de sel, ne fût-ila pas attique [1]. J’espérais en diminuant chaque jour la quantité de mes insipides gribouillis, augmenter la qualité de mes restitus, mais cela ne m’a servi de rien ; et la goutte d’eau pour être séparée de la source, n’en reste pas moins de l’eau claire et la fraction, quelque minime qu’elleb soit, d’un esprit bête n’en sera pas moins de la bêtise pure. Cette vérité dont vous êtes encore plus pénétré que moi-même ne vous empêche pas de faire le semblant de trouver quelque saveur à toutes les tendres niaiseries que je vous fricasse tous les jours sans la collaboration d’un carême ou les conseils de la Cuisinière Bourgeoise [2]. Tout cela, mon adoré prouve en faveur de votre ineffable bonté plus encore qu’en votre appétit.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16377, f. 59
Transcription de Sophie Gondolle assistée de Chantal Brière

a) « ne fut-il ».
b) « quelle ».


Guernesey, 16 février 1856, samedi matin, 10 h. ¼

Nous disons donc douze pages [3], ni plus ni moins, mon cher petit homme ? Eh bien on vous les bâclera à la force du cœur et du poignet sans essoufflementa et sans effort ; telle est ma force. D’abord j’ai pour m’y aider les ressources barométriques, thermométriques, météorologiques, astronomiques, gastronomiques, hygiéniques, physiquesb, psychologiquesc, mathématiques et toutes les formes concentriques des triques, des icques plus ou moins calligraphiques. Ça vous apprendra à faire le loustic aux dépensd d’une pauvre bourrique à qui vous faites la nique gigotant la pyrrhique, devant la sciatique démocratique. À bon VENT pas d’enseigne. Il fait, en ce beau jour, le plus beau temps du monde pour aller à cheval sur la terre et sur l’onde et la mère Gillet. À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire [4]. Dis-moi ce que tu manges, je te dirai ce que tu bois. Les Jujus ne sont pas ce qu’un vain Toto pense. Faites à votre prochain ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fît à vous-même. Il vaut mieux courir après son âne que de le relever par la queue. Qui trop embrasse mal éteint [5]. Plus on est de Cahaignes, moins [on] rit. Se bien méfier de la payse des grands chemins... DE RONDE. To be or not to bef. Être ou ne pas être.…..g chaumontélisé, voilà la question. That is the question ? Devineh si tu peux et réponds si tu l’oses.

BnF, Mss, NAF 16377, f. 60
Transcription de Sophie Gondolle assistée de Chantal Brière

a) « essouflement ».
b) « phisiques ».
c) « psycologiques ».
d) « au dépend ».
f) Juliette souligne séparément chaque mot de la citation.
g) La référence à Hamlet est suivie de six points de suspension jusqu’au bout de la ligne.
h) « devines ».


Guernesey, 16 février 1856, samedi matina, 10 h. ¾

Pardon, mon pauvre grand adoré, pardon de toutes ces grimaces ridicules que je te fais pour mieux cacher mon jeu qui est de t’aimer de toutes mes forces, de tout mon cœur et de toute mon âme. Si je pouvais te faire entendre ma voix intérieure [6], tu serais ravi et en extase devant cette sublime poésie de mon amour. Mais, hélas ! rien ne se dégage de moi que les platitudes et les pauvretés parmi lesquellesb se mêlent les grognements sourds de mon admiration. Voilà pourquoi, mon cher adoré, j’ai tant de scrupules maintenant à t’encombrer de mes élucubrations maussades ou insignifiantes. Ce n’est pas de ma faute, si tu te crois obligé, par pitié pour ma bêtise, d’avoir l’air d’y tenir. Je n’en suis pas dupe et tu t’imposes inutilement le plus fastidieux des ennuis. Cher, cher adoré, ma pensée vole d’autant mieux vers toi sans PLUME et n’a besoin d’aucune patte de mouche pour courir après tes baisers. À preuve que je ne te quitte jamais et que ma vie est où tu es.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16377, f. 61
Transcription de Sophie Gondolle assistée de Chantal Brière

a) Le mot « matin » est écrit deux fois et la seconde forme, placée sous la première, comporte trois accents circonflexes sur la voyelle [a].
b) « lesquels ».

Notes

[1Le sel attique est une expression qui désignait chez les Athéniens une manière spirituelle et délicate de penser et de s’exprimer.

[2Titre d’un ouvrage de cuisine très célèbre.

[3Les feuillets des trois lettres datées du 16 février sont numérotés de I à XII de la main de Juliette.

[4Alexandrin extrait du Cid de Pierre Corneille, Acte II, scène 2.

[5Jeu de mots ou erreur : « mal étreint » ?

[6Allusion au recueil poétique des Voix intérieures.

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