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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Paris, vendredi 8 août [18]73, 3 h. après-midi

Je te donne mon cœur en catimini pendant que tu n’y es pas, mon cher trop bien aimé ; j’espère que tu voudras bien le garder sans trop le faire souffrir. De mon côté, mon cher grand petit homme, je m’applique à me bien porter pour être un peu moins maussade si c’est possible. Au reste tu pourras en juger par toi-même quand tu me reviendras tantôt. En attendant je bénis d’avance tous les efforts généreux que tu fais pour sauver le pauvre Rochefort et pour mener à bien la déplorable affaire du Peuple Souverain contre Le Rappel [1], ce que tu m’en as dit en passant tout à l’heure m’en donne bon espoir. Quel soulagement, quelle joie et quel bonheur le jour où la santé de ton cher fils ne sera plus en question. Je prie, j’attends et j’espère en la bonté de Dieu que j’aime et que j’adore à travers toi. J’ai reçu deux lettres de Louis [2] qu’on avait refusées ici parce qu’on ignorait mon nom. Si j’en croyais nos deux servantes notre hôtesse aurait deux visages dont l’un (l’aimable) pour toi, dont l’autre (le grognon) pour elles. Quant à moi je ne sais encore ce que je dois en penser par la bonne raison que cela m’est indifférent. Le juste sera de faire venir ici dès aujourd’hui, si c’est possible, la vaisselle nécessaire à notre service. C’est ce dont je vais m’occuper séance tenante. Je t’aime.

BnF, Mss, NAF 16394, f. 231
Transcription de Manon Da Costa assistée de Florence Naugrette


Paris, 8 août [18]73, vendredi soir, 5 h. ¾

Ceci, mon cher adoré, est le second gribouillis que je t’écris depuis que tu m’as quittéea, le premier ayant disparu sans que je puisse deviner comment ni par où, à moins que nos servantes ne l’aient serré ou porté chez toi d’office. C’est ce que je leur demanderai quand elles seront de retour de la rue Pigalle [3] où elles sont allées chercher de la vaisselle, des couverts et des verres. Je ne m’en inquièterais pas autrement si ce n’est que je crains que cet informe gribouillis ne tombe entre les mains de quelqu’un plus ou moins renseigné sur nous. Aussi j’attends le retour de Mariette et d’Henriette avec impatience pour être fixée en ce qui les regarde : je te disais, mon cher adoré, que je t’aimais comme jamais homme n’a été aimé avant toi et ne le sera après. Que mes inégalités apparentes de tendresse ne viennent jamais de mon cœur mais de ma santé qui n’est pas toujours à l’unisson de mon amour, témoin hier où je luttais de toutes mes forces contre des douleurs néphrétiques inexprimables. M. E. Allix qui sort de chez moi s’étonne, comme tous les autres médecins qui m’ont vue dans ces dures épreuves, de mon courage et de ma patience… relative. J’espère qu’à ton tour tu me rendras la justice que je mérite et que tu n’ajouteras pas à mes tortures physiques des tortures morales impossibles à supporter. J’y compte, mon adoré, comme je compte sur la bonté de Dieu, en qui je crois à travers toi, pour rendre la santé à ton cher petit Victor [4] dont la vie est nécessaire, précieuse et chère pour toi et pour tous ceux qui, comme moi, le connaissent, l’apprécient et l’aiment. Je te souris, je te bénis.

BnF, Mss, NAF 16394, f. 232
Transcription de Manon Da Costa assistée de Florence Naugrette

a) « quitté ».

Notes

[1Toute l’équipe du Rappel s’était lancée dans l’aventure du Peuple Souverain en mai 1872, journal à un sou très engagé à gauche, et soutenu par Hugo. En mai 1873, le journal est soumis à une interdiction de vente sur la voie publique. Les tensions entre Le Rappel et Le Peuple Souverain s’exaspèrent. Le 14 août, Hugo note que Meurice a été démis de ses fonctions de rédacteur en chef du Peuple Souverain par les actionnaires du journal. Les deux journaux se séparent. (Voir Agnès Spiquel, Du Passant au peuple, Eurédit, 2002, p. 54-55).

[2Son neveu (Jean-)Louis Koch.

[355 rue Pigalle, domicile de Juliette.

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