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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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11 février [1847], jeudi matin, 9 h. ½

Bonjour, mon Toto adoré, bonjour, mon cher amour, bonjour, mon pauvre embarrassé, bonjour, mon trop loyal petit homme, bonjour, académicien, bonjour. Comment vas-tu t’en tirer tantôt ? Il est probable que tu te laisseras attendrir par le souvenir des supplications du vieux Empis et que tu voteras pour lui à fond perdu. Mais qu’est-ce que cela me fait l’élection de tel ou tel Leclerc [1], ou la défection de tel ou tel Empis ? Absolument rien, si ce n’est que j’admire ta loyauté envers tes amis et que j’aime cette générosité envers tes ennemis, voilà tout.
J’espère que tu viendras baigner tes yeux [2] avant d’aller à l’Académie et que je te verrai au moins ce temps-là. Je vais me dépêcher de faire ton eau pour que tu en aies de la nouvelle. Je suis on ne peut pas plus fâchée contre ce Dabat et ses bottes vingt-cinq [3]. Elles sont cause que tu es exposé tous les jours à t’enrhumer et à avoir mal à la gorge. À ta place, je m’en serais fait faire une autre paire plutôt que de risquer ma santé à tous les instants ou de souffrir une torture atroce renouveléea de Moyen Âge. Aujourd’hui il y aura de la neige partout ; il est impossible que tu sortes sans avoir les pieds mouillés, à moins de te broyer les pieds. C’est amusant. Peut-être veux-tu que j’écrive à Dabat de t’en faire tout de suite une autre paire ? Ne t’entête pas pour ces bottes neuves puisqu’elles te blessent décidément. Peut-être que plus tard tu auras les pieds moins sensibles. Cher petit Toto, je t’écris des choses peu amusantes, mais bien utiles et que tu devrais accepter. Ce soir, je t’en parlerai encore. En attendant, je vais suivre chacun de tes pas par la pensée pour savoir si tu n’as pas froid, si tu ne toussesb pas et si tu n’as pas mal à la gorge. Que ne puis-je te faire un chemin bien sec ou te donner des bottes meilleures. Je ris pour te plaire parce que je sais que tu prends toutes ces misères avec gaieté et courage. Mais moi je ne suis pas aussi philosophe et il me faut beaucoup d’efforts pour me résigner à te voir souffrir.
Je t’aime, mon Victor, tous les jours davantage. Comment cela se fait-il ? Je n’en sais rien, mais cela est. Plus je te regarde, et plus je te trouve jeune et charmant. Plus je te connais, et plus je te trouve grand, et plus je t’admire, plus je t’aime et plus je veux t’aimer, et plus je t’adore.

Juliette.

Harvard
[Barnett et Pouchain]

a) « renouvellée ».
b) « tousse ».

Notes

[1Joseph Victor Leclerc (1789-1865), professeur de littérature latine à la Sorbonne, qui avait été élu à l’Académie des inscriptions et belles lettres en 1834, se présente à la même élection (premier tour, Empis : 15 voix, Leclerc : 14 voix, Émile Deschamps : 2 voix ; second tour : Empis : 18 voix, Leclerc : 14 voix, Émile Deschamps : 2 voix).

[2Juliette évoque dans de nombreuses lettres les problèmes ophtalmiques de Victor Hugo.

[3Les bottes ont une hauteur de tige de 25 cm.

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