Paris, 16 février 1877, vendredi soir, 4 h.
Cher adoré, je verse tout mon cœur dans le tien pendant que tu écris dans mon cher livre rouge [1] afin d’ajouter tout l’amour que j’ai en plus dans le tien, sûre d’avance que plus je t’en donnerai et plus il m’en restera. Tu sais que j’ai conservé la douce mauvaise habitude de te rendre deux grandes lettres pour une petite chaque fois que tu as la bonté de m’écrire. C’est encore ce que je fais aujourd’hui avec tout l’entrain d’autrefois. Je suis si heureuse que, ne pouvant pas savourer égoïstement mon bonheur seule à seule avec toi, je voudrais y convier toute la terre. C’est pourquoi j’avais fait demander aux dames Lesclide [2] de se joindre à leur chef de famille ce soir, non pour leur faire part du véritable motif de mon invitation, mais pour les y faire participer inconsciemment. J’insisterai poliment auprès du bon Lesclide dans le cas où sa belle-sœur se trouvant mieux ce soir se raviserait.
Je n’ai pas pu te dire depuis hier combien la pauvre mère Lanvin avait été honorée, fière et attendrie des généreuses offres dont tu m’avais chargée pour elle et pour son mari [3]. Elle m’a priée de t’en remercier avec la plus respectueuse reconnaissance. Malheureusement sa santé et celle de son mari ne lui permet pas d’espérer qu’ils puissent jamais en profiter. C’est aussi ce que je crains pour eux à moins que Dieu ne le veuille Deo volente. On me dit que Lesclide vient d’arriver et je me hâte de finir ma chère petite restitus (première) pour savoir si nous pouvons collationner tout de suite. Justement le temps presse et je ne veux pas te faire perdre une minute, si ce n’est celle que je passe à te dire ceci : Je t’adore.
7 h. du soir.
J’avais compté que Lesclide finirait plus tôt. Mais hélas ! il n’en est rien, ce qui me force à remettre ma seconde restitus à demain. Mais, en attendant, je te bénis dans le passé, dans le présent et dans l’avenir.
BnF, Mss, NAF 16398, f. 48
Transcription de Guy Rosa
[Pouchain]