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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 5 novembre 1854, dimanche soir, 4 h. ¾

Je quitte mes nouvelles connaissances, mon cher petit homme, avec le vif désir de vous voir, vous qui êtes pour mes yeux le soleil et le rêve étoilé [1] de mon âme. Ce n’est pas que je me sois ennuyéea avec mes nouveaux hôtes car ilsb me paraissent très honnêtes et suffisamment intelligents pour moi. Mais tout ce qui n’est pas vous me laisse bien indifférente. Aussi je n’ai vu personne tant que je ne vous ai pas vu. Le petit Préveraudc, comme on l’appelle familièrement, a une certaine bonhomied rageuse à l’endroit des réactionnaires qui n’est pas sans grâce. Quant à la non moins petite femme, c’est une personne tout à fait incolore et provinciale mais qui est gentille dans sa gaucherie bourgeoise et sa façon d’aimer son mari sans savoir au juste si elle a tort ou raison dans son amour pour un démagogue. Je les ai fort engagés à venir le soir après leur boutique fermée. J’espère qu’ils ne se feront pas trop tirer l’oreille. De cette façon les soirées me paraîtront moins longues et peut-être passerai-je de meilleures nuits en me couchant plus tard. Quant au bonhomme Durand tout ce qu’il peut faire c’est de veiller jusqu’à la fin du dîner. Aussi, au point de vue de la compagnie rien n’est plus insuffisant que cet honnête citoyen. Ce soir je l’ai à dîner avec toute la famille Guay mais tu serais bien gentil de venir avant eux, que j’aie le temps de te voir et de te baiser in naturalibus depuis midi jusqu’à quatorze heures. De compte fait, je ne t’ai pas vu, ce qui s’appelle vu [2], dix minutes depuis un mois, c’est donc bien amusant ? Voyons dites-le tout de suite pour que je sache à quoi m’en tenir.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16375, f. 369-370
Transcription de Chantal Brière

a) « ennuiée ».
b) « il ».
c) « Préverault ».
d) « bonhommie ».

Notes

[1Citation de Ruy Blas : « je marche vivant dans mon rêve étoilé », dit le héros après que la reine lui a déclaré son amour (acte III).

[2Citation de Tartuffe : « Je l’ai vu, dis-je, vu, ce qui s’appelle vu », dit Orgon à sa mère en parlant des avances de Tartuffe à Elmire.

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