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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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30 novembre [1846], lundi après-midi, 1 h. ¾

Bonjour, féroce homme, bonjour astronome, bonjour mon dômestique. J’ai avais, moâ, beaucou lé envie de changer vos. J’ai été bien mal satisfachione dé vos. Ouah ! j’ai croâ qué vos étiez beauquiou plious mauvaise façunne qué mister Casimir dé Raizin [1] et j’ai trouvé moâ, mister, mister, mister [paquette] bieaucoup bieauquiou piou jioli, bieauquiou piou, biauquiou piou, bieauquiou piou, very good bôquet qué vos.
J’ai avé moâ la nez véritablemente choquine dé incongruités à vos.
Hein ? quel temps ! c’est parce que je ne sors pas. Mais aussi quelle rosée abondante demain ! Je prépare d’avance mes bottes et ma bosse. À propos je vous écris sur la dernière feuille de papier blanc qu’il y ait chez moi. Je vous ai assez prévenu, Dieu merci. Maintenant j’attendrai que vous en ayez tout à fait besoin pour en envoyer acheter en détail.
Je regrette que tu n’aies pas pris jour avec Eugénie pour demain, tu te serais débarrassé tout de suite de cette corvée et il n’en aurait plus été question. Pauvre doux adoré, je sens plus que toi-même le dérangement que toutes ces choses oiseuses font dans ta vie si occupée, si grave et si au-dessus de toutes les choses vulgaires de ce monde. Je souffre d’être complice de l’ennui que te causenta tous ces tiraillements étrangers à ta pensée. Mais cette fois j’y suis forcée par les efforts constants qu’elle et M. Vilain font pour me rendre le souvenir de ma fille plus présent à mes yeux [2]. Je n’ai pas d’autre moyen pour le moment de leur en témoigner toute ma reconnaissance et je l’emploie au risque de te gêner beaucoup. Ce sera du reste l’affaire d’un moment et un jour que tu iras à l’Académie. C’est pourquoi je regrette de n’avoir pas pu donner rendez-vous à Eugénie pour demain.
Donne-t-on toujours Les Burgraves jeudi [3] ? N’oublie pas deux places pour M. Vilain et, si tu peux, cinq places pour la famille Rivière. Tu n’auras pas à coup sûr de plus fervents et de plus chauds enthousiastes que tous ces braves gens, et de plus intelligents et de plus fins admirateurs que ces deux pures jeunes filles. Quant à moi j’ai ma place de droit et je la réclame à cor et à cris. En attendant que je t’admire dans la salle, je t’adore dans mon cœur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16364, f. 273-274
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « cause ».

Notes

[1Jeu de mots sur le nom de Casimir Delavigne.

[2Victor Vilain, élève de James Pradier, a réalisé des bustes et des médaillons de Claire, la fille de Juliette Drouet.

[3Cette reprise des Burgraves à la Comédie Française trois ans après leur création n’eut pas lieu, mais le fait qu’elle soit envisagée est une nouvelle preuve que cette dernière n’a pas été l’échec retentissant que l’histoire littéraire antiromantique a longtemps prétendu, mais, comme on le sait aujourd’hui, un demi-succès. Si Hugo a arrêté d’écrire du théâtre, comme de publier, après 1843 (jusqu’à l’exil), c’est suite à la mort de Léopoldine, et non pas à cause du prétendu « échec » des Burgraves, « contre-vérité officielle de l’histoire littéraire » (Pierre Laforgue). La Comédie-Française n’aurait jamais envisagé mettre de nouveau à l’affiche une pièce ayant chuté trois ans plus tôt.

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