Paris, 21 mars 1880, dimanche matin, 7 h.
Dors, mon cher bien-aimé, et tâche de te lever assez à temps pour nous faire la joie de déjeuner avec toi en famille. Moi, pendant ce temps-là, je vais prendre un bain, et me peigner à fond, afin de lutter de fraicheur et de verdeur avec le citoyen printemps qui fait feu des quatre pieds [1], comme si le diable l’emportait. J’espère inaugurer avec toi, tantôt après ton déjeuner, la promenade à pied. Je ne crois pas que je te mène bien loin, mais je tiens à te donner cette marque de bonne volonté en l’honneur, toujours, du printemps qui n’a jamais été plus fringant que cette année. À preuve qu’il fait pousser, non seulement les asperges, mais les carottes qui poussent drues autour de toi. À preuve celle de ce matin dans le champ des Musiciens Solistes. Affaire de chantage comme tu vois [2]. Je ne parle pas des autres, cela ne finirait pas. Moi-même, j’ai aussi mon petit semis de carottes que je compte bien récolter le 11 avril prochain, si Dieu me prête vie jusque-là, et si le terreau de ton porte-monnaie veut bien les fertiliser [3]. En attendant, je t’aime à fond de cœur et d’âme.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF, 16401, f. 81
Transcription de Blandine Bourdy et Claire Josselin