22 janvier 1880

Paris, 22 janvier 1880, jeudi matin, 6 h.

Cher bien-aimé, je suis allée à quatre heures savoir comment ta nuit se comportait. Émile Allix m’assure que tu as un peu dormi, et j’ai pu constater par moi-même qu’à ce moment-là même tu dormais d’un sommeil profond et paisible. Depuis, je n’ai pas osé retourner chez toi pour ne pas l’interrompre, si, comme je l’espère, tu reposes encore, et aussi pour ne pas troubler celui de notre excellent ami Allix qui ne marchande ni son dévouement admirable, ni la fatigue, quand il s’agit de toi. Dès que je croirai le moment propice, j’irai savoir comment s’est achevée ta nuit et si tu as pris ton eau de Pudna. Quant à moi, mon pauvre bien-aimé, je ne demande pas mieux, Dieu le sait, que de coucher auprès de toi. Mais j’ai peur que mes insomnies cruelles ne s’ajoutent aux tiennes, et que mon voisinage, loin de t’être d’aucun secours, ne te soit nuisible. Ça n’est pas une raison pour ne pas l’essayer, et je compte m’installer pour la nuit prochaine dans le petit cabinet de Mariette, en attendant mieux [1], trop heureuse si je peux être bonne encore à quelque chose. Je suis si usée, et si patraque, que je crains d’être bientôt une charge de plus pour toi, et pour ta famille. Enfin, mon pauvre bien-aimé, je te consacrerai avec bonheur tout ce qu’il reste de force en moi, et j’espère que Dieu m’en donnera de nouvelles.

[Adresse]
Monsieur Victor Hugo

BnF, Mss, NAF 16401, f. 22
Transcription de Blandine Bourdy et Claire Josselin