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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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28 novembre [1847], dimanche matin, 9 h.

Bonjour, mon doux adoré, bonjour, mon pauvre petit travailleur, bonjour. Je t’aime, et toi ? Tu vois que je ne me suis pas adonnée à la pioncerie cette nuit. Dorénavant je ferai toujours ainsi jusqu’à ce que j’en sois empêchée par mon mal de dos et de cœur. Je crois que cela tient à la manière dont je suis posée à table pour écrire et il est impossible que ce soit mieux à cause des lumières qu’il faut mettre de ton côté. Enfin je m’y habituerai peut-être. Dans tous les cas j’en serai quitte pour cesser dès que je me sentirai fatiguée.
Je pense comme toi, mon bien-aimé, que cet accident qui t’a tant contrarié et dont tu souffres encore t’a probablement préservé d’un plus grand malheur, c’est-à-dire d’une maladie sérieuse [1]. Seulement je voudrais que tu l’acceptassesa dans son entier et que tu ne brusquesb pas la convalescence de ton pauvre petit pouce en le faisant travailler trop tôt. Songe que tu peux rappeler l’enflure et la douleur en faisant fonctionner trop vite ce pauvre muscle froissé. Je sais bien que ce conseil est plus facile à donner qu’il n’est facile à toi de le suivre avec les monceaux d’admirables choses qui se démènent dans ta chère petite caboche et qui veulent à toute force en sortir pour se montrer à l’admiration de tout le monde, les orgueilleuses, et aussi pour faire place aux autres qui les poussent dehors. Mais la prudence voudrait que tu attendissesc encore quelque temps avant de te fatiguer. Et puis je baise tes quatre petites pattes.

Juliette

Leeds, BC MS 19c, Drouet/1847/66
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen

a) « acceptasse ».
b) « brusque ».
c) « attendisse ».


28 novembre [1847], dimanche midi

Mon petit homme, je pense à vous, je vous souris, je vous porte et je vous aime de toutes mes forces. Je regrette pourtant de ne pouvoir pas profiter avec vous du beau temps et du beau soleil qu’il fait aujourd’hui. On dirait qu’il m’a entendue, ce cher soleil, le voilà qui se cache le nez pour ne pas me donner de trop vifs regrets probablement. Je le prends ainsi parce que j’ai le caractère très bien fait. Voime, voime, drès pien vait [2]. À preuve que je ne dérage pas tant que je ne vous vois pas, c’est-à-dire à peu près toute la journée. Cela ne me lasse pas, au contraire, et tant plus que je grogne et tant plus que je veux grogner. Charmante Juju va, je ne retiens pas de ta graine, tu peux t’en flatter. Mais aussi, qu’est-ce qui tiendrait à cette contraction continuelle de la pensée et du cœur sans en être un peu détraqué ? Moi je le suis beaucoup, voilà toute la différence. Du reste, je suis fort AIMABLE et fort LITTÉRAIRE comme vous avez pu vous en apercevoira plus d’une fois. Ah ! que je vous voie dire le contraire, vous verrez ce que je vous ferai. En attendant, baisez-moi et MIEURE qu’hier si vous ne voulez pas perdre dans mon estime.

Juliette

Leeds, BC MS 19c Drouet/1847/67
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen

a) « appercevoir ».

Notes

[1Victor Hugo a dû interrompre le manuscrit de Jean Tréjean le 15 novembre après s’être foulé le pouce droit. Il le reprend dans la nuit du 29.

[2Juliette imite souvent l’accent allemand.

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