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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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29 décembre [1845], lundi matin, 10 h. ¼

Bonjour, mon petit Toto bien-aimé, bonjour, mon cher amour bien adoré, comment que ça va ce matin ? M’aimez-vous ? Moi je vous aime, c’est mon premier ouvrage dès le matin et mon seul et unique depuis un bout de la journée jusqu’à l’autre.
Je ne sais pas quand je vous verrai, mais je sais que je vous désire déjà furieusement fort. Si vous pouviez me faire sortir aujourd’hui, je serais bien contente. Je n’y compte pas, mais j’en ai bien besoin. Si vous vouliez, nous irions chez Duriez pour Le Rhin [1]. Vous savez que je suis très [illis.] quand on me promet quelque chose, et même quand on ne me promet rien. Et puis ce serait une occasion de sortir, de marcher et d’être avec vous, ce dont j’ai le plus grand besoin. Quelle vieille répétition je fais, je dis tous les jours la même chose, aux mêmes heures, avec les mêmes mots et dans les mêmes conditions. Dieu que cela doit t’ennuyer, d’y penser cela me fait peine pour toi. Mais tous ces regrets et toute cette pitié ne me donnent pas l’esprit de t’écrire quelque chose de plus drôle. Ce n’est pas la bonne volonté qui me manque, mais mes moyens ne me le permettent pas. Tout ce que je peux faire, c’est de t’aimer comme un chien et de te le dire de même. Et puis je vous baise de toutes mes forces en pensées, en désir et en effigie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 313-314
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette


29 décembre [1845], lundi soir, 6 h.

Puisque vous n’avez pas voulu que je sorte, mon cher petit tyran peu délicat et pas blond, j’en ai profité pour faire un nettoyagea hideux dans ma maison en l’honneur de l’année 1846. Je viens de finir seulement à présent et je vous assure que je n’ai pas froid. Vous seriez bien gentil de venir me dire que ça sent bon chez moi et m’embrasser pour la peine que j’ai prise en grimpant à l’échelle comme une pauvre MALSENAIRE [2]. J’en ai du reste bien mal à l’estomac, du moins je l’attribue à avoir eu mes bras en l’air pendant plus de deux heures. Il me semble que votre séance [3] doit être archi finie. Il est vrai, pauvre bien-aimé, que tu travailles, ce qui fait que je ne t’en veux pas. Je t’attends et je t’aime avec courage et ardeur. Je t’ai acheté deux paniers de raisin. Tu auras de quoi brouter au moins pendant huit ou dix jours. D’ici là, peut-être qu’il y en aura encore d’autre. En attendant, te voilà délivré de mesb odieuses pommes. Je t’assure que je ne perdrais aucun genre humain pour un fruit aussi badoulard. Il fallait que la bonne femme Eve fût bien rococotte et son auguste époux aussi pour s’attaquer à une chose aussi vulgaire qu’une pomme. Pour moi, j’en mange mais je les méprise profondément, ce qui doit leur être fort douloureux. Baise-moi, mon Toto adoré, et tâche de venir, ne fût-cec qu’une minute.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 315-316
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « un nétoyage ».
b) « des mes ».
c) « ne fusse ».

Notes

[1Le 25 octobre 1838, Victor Hugo vend ses œuvres complètes à l’éditeur Delloye. Ce dernier met en place une société pour l’exploitation des œuvres de Hugo, dont le négociant Duriez fait partie.

[2Déformation de « mercenaire », utilisée par Hugo dans la lettre IV du Rhin : « – Et M. Simon ? Où est M. Simon ? – M. Simon ? Bah ! Il travaille. Il travaille toujours. Il travaille pire qu’un malsenaire. »

[3Une séance publique de la Chambre des pairs eut lieu ce lundi 29 décembre à 13 h.

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