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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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12 décembre [1845], vendredi matin, 9 h. ¼

Bonjour, mon petit Toto chéri, bonjour, mon cher amour bien aimé, bonjour, comment que ça va ce matin ? Pour moi, je vous écris toutes mes fenêtres ouvertes mais je n’en ai pas plus chaud pour cela, je vous assure. Cependant, à tout prendre, j’aime encore mieux le froid piquant que les brumes et les pluies chaudes. Je ressemble à un baromètre, car tous les matins je te donne le temps qu’il fait avec les différents degrésa de température. C’est très commode surtout pour toi qui lit cela à 2 h. du m[atin]. Je suis encore bien bonne de vous parler de la pluie et du beau temps, car je pourrais ne rien vous dire du tout, hein ? Quelle position ! Rien que d’y penser, vous n’en avez plus une goutte de sang dans la poche de votre paletot. Je le crois fichtre bien, on serait saisi à moins. Pour vous remettre, prenez un peu de joubarDE [1] et faites-la infuser dans un seaub d’eau de pompe avec une pincée de taquinerie, un pavé, à votre gré, et deux ou trois gouttes de bonne moquerie, et vous m’en direz des nouvelles.
Mon petit Toto, je vous aime, je vous aime et je vous aime. Trois chosesc qui font le fond et le tréfondsd de ma vie. Baisez-moi et aimez-moi de même et je n’aurai rien à désirer au monde. Je vais bien me dépêcher pour copire, copire toute la journée. Je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 245-246
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « les différents degré ».
b) « un sceau ».
c) « trois chose ».
d) « le tréfond ».


12 décembre [1845], vendredi soir, 5 h.

Tu m’as porté malheur, mon Toto, en me disant de ne pas me presser, car, quoique je me sois très fort dépêchée depuis ce matin, je n’ai pas encore pu copier une seule ligne de ton manuscrit [2]. D’une part, 7 livres de raisin à [illis.] grain à grain. D’autre part, le rangement du bûcher qui était encombré de toutes sortes d’affuquiaux [3] et que j’ai fait mettre dans le petit grenier pour pouvoir loger mon bois quand il viendra. Toutes ces vilvousses [4] qui n’ont l’air de rien, mais qui s’ajoutent les unes aux autres, font que la journée se passe et qu’on n’a rien fait. Une chose me console dans tout ça, c’est que tu auras du raisin au moins pour une douzaine de jours. J’aurai le plaisir de te voir gober (style Balzac) tout cet excellent raisin, ce qui n’est pas peu de chose quoi que vous en disiez, messieurs les auteurs.
En attendant ce plaisir-là, je vous aime et je vous adore et je suis votre Caroline [5]. Hélas ! autrefois j’étais votre Juju, c’est-à-dire une femme aimée. Maintenant je ne suis plus qu’une pauvre femme ridicule. J’ai pourtant la conscience que je ne t’ai jamais plus aimé qu’à présent. Est-ce une consolation ?...

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 247-248
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Juliette continue de jouer avec les mots « joubarbe » et « jobarde », comme dans sa lettre du 11 décembre, après-midi.

[2Victor Hugo a commencé la rédaction des Misères, qui deviendront Les Misérables, le 17 novembre 1845. À ce stade du processus de création du roman, le premier chapitre écrit correspond au premier chapitre « Le soir d’un jour de marche » du livre deuxième « La Chute » de la première partie « Fantine ». Mais manifestement, à la lecture des lettres suivantes, Hugo aurait donné à copier à Juliette le premier chapitre « M. Myriel » du livre premier « Un juste ».

[3Ou affûtiaux : « Tout l’attirail dont on a besoin pour faire une chose » (Larousse).

[4Vilvousser : tourner, aller et venir en pure perte (patois cauchois).

[5Caroline est la femme d’Adolphe, le héros des Petites misères de la vie conjugale de Balzac paru en feuilletons entre 1830 et 1846 dans divers journaux : La Caricature, La Presse et Le Diable à Paris. Adolphe essaie de justifier ses absences par « l’affaire Chaumontel » qu’il invente de toutes pièces. Balzac déclare alors : « Tous les ménages ont leur affaire Chaumontel. »

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